De la Démagogie et de la Démocratie

Abel Bonnard, Ce monde et moi, 1991


La démagogie couvre d’une rhétorique de philanthropie son mépris du peuple. (…)

Il y a dans la démagogie une affectation du débraillé. Le démagogue doit avant tout prouver qu’il n’est pas un aristocrate, un homme comme il faut : il doit se ruer vers l’infériorité, se tenir mal par calcul s’il ne se tenait pas mal par instinct. (…)

Le démagogue a la force horrible d’être l’interprète des inférieurs. Il faut bien que l’envie ait une voix ; il faut bien que la haine ait une voix ; il faut bien que tous les sentiments inavouables viennent s’avouer : voilà le rôle du démagogue. En vérité, sont art est double. Par moments, il fait appel à de grands principes, il parle de justice, il parle d’idéal ; mais il retourne bien vite à sa force, qui est d’être l’orateur des instincts et de révolter l’animal dans l’homme. Les démagogues peuvent détruire un pays quand les politiciens l’ont gâté. (15 avril 1925) (…)

Les démagogues ont pour punition leur succès. Les passions qu’ils ont excitées les dévorent. (…)

Les deux extrêmes qu’il faut également éviter : l’Etat liquéfié, c’est-à-dire la démagogie ; l’Etat pétrifié, c’est à-dire la réaction. L’un ne maintient même plus un ordre matériel, l’autre devient le maniaque d’un ordre formel ; l’un n’a même plus la notion de l’ordre, l’autre en montre la pédanterie. Le faux progrès nous mène à un abîme et le faux ordre à un désert. (…)

La peste des élections : c’est la discorde installée, l’épilepsie établie, des sillons régulièrement ouverts à toutes les mauvaises graines. (…)

Quel abaissement, quel dégoût dans ces petites villes de voir la souillure d’une vieille affiche électorale ! Toutes ces métaphores de la guerre contre les gens de leur pays. (…)

Idée bouffonne que l’électeur doit tout savoir. (…)

Les problèmes complexes : comment veut-on que l’électeur en connaisse ? Là où il n’y a pas connaissance il faut bien qu’il y ait passion. (…)

La superstition du nombre : nombre n’est que la rime d’ombre. (…)

Le suffrage universel. Le bien du peuple ne peut être assuré que par une autorité qui n’est pas directement émanée de lui, ni sujette à être révoquée par lui. Tous les maîtres qu’il se choisit tendent nécessairement à l’avilir. Ils ne peuvent se maintenir qu’en le satisfaisant dans ses réclamations les plus grossières, aux dépens de ses besoins les plus profonds, et en détruisant, sous prétexte d’améliorer son sort matériel, la civilisation même qui lui garde une âme, une dignité. (…)

Les administrations françaises sont des organes d’empêchement. (…)

Les fonctionnaires, au lieu de marquer l’entrée de l’Etat dans la nation, se retournent contre lui, ne sont plus que l’avant-garde des pillards qui le dépouillent : des politiciens jouisseurs flottent sur une multitude de fonctionnaires négligents. (…)

C’est un grand malheur pour un peuple ou une classe d’obtenir des droits avant d’en être digne. (…)

Analyse de l’esprit démocratique. On ne fait pas une doctrine en mettant une majuscule à quelques mots abstraits. Il n’y a de doctrine que lorsqu’on a dégagé un principe d’obligation. (…)

Double attrait de l’idéal démocratique : soulève les aspirations vagues, messianiques de l’individu : satisfait les bas instincts sous couleur d’idéal. (…)

La démocratie est le régime de l’autorité retournée vers le bas, de l’autorité sans visage, de l’autorité informe. Au lieu de monter en se rétrécissant vers des pointes où l’homme qui l’exerce, se trouvant de plus en plus isolé, se sent de plus en plus responsable, où il est aussi par son élévation même de plus en plus exposé aux idées sublimes, touché par le rayon des poètes, placé en comparaison avec les grands hommes qui sont les sommets sereins de l’histoire, elle s’enfonce au contraire de plus en plus dans l’impersonnel, l’irresponsable, le ténébreux. (…)

Force de la démocratie : elle n’a pas de visage. Les reproches ne se concentrent sur personne.


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