Pierre Drieu la Rochelle – Prestige de la Femme

Le Figaro, 21 février 1936


Je lisais l’autre jour un article où l’on relatait avec étonnement qu’une jeune princesse devenait l’héritière du trône d’Angleterre et pouvait être appelée tôt ou tard à renouveler le long exploit de la reine Victoria. Mon étonnement, devant cet étonnement, m’a ramené sur une idée qui m’est venue déjà depuis longtemps : de beaucoup les femmes n’ont pas gagné autant qu’on pourrait le croire, en autorité et en influence, au triomphe maintenant séculaire de ce qu’on est convenu d’appeler les idées modernes.

Elles ont gagné beaucoup en apparence, mais elles ont aussi beaucoup perdu en fait. Elles ont acquis une certaine liberté dans la vie privée, dans leurs rapports avec leur mari, dans l’exercice du travail ou dans le maniement de leur fortune. Les hommes font semblant – que ce soit littérature ou conversation courante – de prendre en grande considération leur sensibilité et leurs opinions. Quand on y regarde de près on voit que tout cela reste superficiel ou est grevé de dures contreparties. Si dans les rapports légaux, officiels, la femme me semble plus ménagée et respectée par l’homme, dans les rapports réels, sous prétexte qu’elle est plus libre, elle est traitée par lui avec beaucoup plus de sans-façon et de brutalité.


Cette situation de fait est particulièrement évidente en France où la femme est loin d’avoir obtenu les avantages qu’on lui a prodigués dans le monde anglo-saxon, qui par ailleurs a gardé à son égard beaucoup plus de la révérence passée. En France, nous n’avons pas consenti la liberté et l’égalité aux femmes, mais nous les traitons souvent avec une désinvolture qui ne serait excusable que si nous les avions largement pourvues.

Dans le monde, en général, il n’en va guère autrement. On ne remarque pas assez un fait qui est de grande conséquence. Les femmes participent à la démocratie là où elle existe – elles votent, elles peuvent être députés, ministres. Je prétends pourtant que la démocratie leur a retiré plus qu’elle ne leur a donné. Dans les régimes aristocratiques et monarchiques, depuis la fin du Moyen Age jusqu’à la Révolution française, des femmes ont véritablement gouverné. Comme héritière de petites ou grandes successions elles ont, dans des cas fréquents, exercé une action énorme, décisive pour le prestige de leur sexe.

L’exemple des Elisabeth, des Catherine ne signifiait nullement l’accident du génie, l’exception qui confirme la règle : il signifiait profondément le triomphe d’un sexe qui régnait sur une société, qui lui donnait le ton, qui imposait sans cesse aux hommes le respect ou la crainte, des sentiments exaltés et jamais discutés. Au temps des princesses et des reines, jusque dans la bourgeoisie par imitation des mœurs de la cour, et par le sentiment religieux jusque dans le peuple, l’homme pliait moralement devant la femme.


Je ne vois rien de semblable aujourd’hui. À cet égard comme à tant d’autres, les nouveaux régimes – mussolinien, hitlérien ou stalinien ne font qu’accentuer les tendances de l’époque.

Les régimes fascistes ont retiré franchement à la femme peu ou prou des prérogatives récemment acquises. Mais le régime communiste, qui a fait de grands efforts dans ses débuts et qui a obtenu de grands résultats – parents de ceux qu’on voit dans le monde anglo-saxon – pour l’égalité économique et sociale de la femme, n’a pu nullement la rétablir dans cet ensemble de privilèges secrets, sournois, cruels, mais efficaces où jusqu’au dix-huitième et même jusqu’au dix-neuvième siècle, l’élite du sexe a assouvi si magnitiquement ses passions.

Les ouvrières russes luttent de pair avec leurs compagnons masculins. Mais quelle est leur influence réelle dans le gouvernement de leur pays et a tonalité de ses maeurs politiques? Il me semble qu’à Moscou comme à Berlin, comme à Rome, ou dans les cités américaines régentées par les gangsters, domine une férocité guerrière qui indique le déchaînement de l’homme. C’est peut-être parce que l’homme n’est plus façonné, dans notre époque grossière, par la vénération sentimentale et la courtoisie de tous les instants devant la femme qu’il va retomber dans les violences. Avant les raffinements féminins de Florence et de Versailles, ces violences tenaient l’Europe chevaleresque dans l’état permanent d’un collège rempli de jeunes hommes ivres d’un célibat sanguinaire.


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