Entretien avec Les Crayons Flingueurs

Bonjour Hariel, vous vous exprimez au nom du collectif Les Crayons Flingueurs. Pouvez-vous nous présenter le collectif et chacun de ses membres ?

Bonjour Arthur,

Avant tout merci pour cette interview. Et bien nous sommes quatre dessinateurs. Deux d’entre nous vivent de leur talent en tant que professionnels. Nous avons tous des styles globalement différents, ce qui fait notre force à mon sens.

Nous avons Pierre Arthur notre illustrateur, qui produit de magnifiques dessins qui font souvent suite à une lecture. C’est un excellent camarade toujours de bonne compagnie, le genre de mec qui met de l’huile dans les rouages, qui fait tampon entre les différentes personnalités du groupe et son art est à l’image de l’homme, profond. Nous avons aussi Tenzin AB notre caricaturiste. C’est un peu le Alain Juppé des Crayons Flingueurs, « c’est le meilleur d’entre nous ». Plus sérieusement, c’est le plus talentueux et expérimenté (c’est un vieux). Au-delà de son talent, ce qui me marque chez lui reste son œil d’une grande précision et ses conseils toujours précieux. Nous avons Zemaxe, lui est un amateur qui part de loin ! Lorsque nous l’avons connu, il ne maîtrisait pas ce qu’était un dessin d’actualité. Mais il a très vite appris et ses dessins fonctionnent très bien auprès des gens, il fait souvent mouche. C’est une belle progression, assez fulgurante je dois dire. Et enfin moi. Je suis amateur, mon niveau de dessin est très bas, très très bas à côté de celui de mes camarades. Je suis le canard boiteux de l’équipe, une sorte d’Imam Chalghoumi (l’accent en moins) qu’on garde près de soit parce qu’il peut toujours servir… Blague à part, je maîtrise plus la compréhension et l’idée de ce qu’est un bon dessin que sa réalisation. Mais je ne désespère pas de m’améliorer !

L’idée des Crayons Flingueurs est simple. Nous sommes des artistes avec une conscience politique. Notre talent s’entremêle avec notre vision du monde au service des gens. Par le rire, la réflexion ou les deux dans un même dessin.
En somme, nous faisons ce que les faux artistes du mainstream ne font plus depuis longtemps.

Quels sont vos modèles ?

Nous avons appris récemment le décès de Guy Sajer (Le soldat oublié), alias Dimitri (Le Goulag), le connaissiez-vous et avez vous un mot pour sa mémoire ?

Et bien sur le plan collectif, aucun modèle. Nous sommes ensemble, le hasard n’existant pas, je parlerai de destin, un destin commun. Nous avançons au grè du vent, des lectures, de l’actualité, sans vraiment une idée précise de ce que nous faisons ni même de jusqu’où ça nous mènera et encore moins à quoi nous devons ressembler. Et pour être franc, on s’en tape. Je crois que nous sommes bien ensemble, on s’amuse, on se découvre, on partage. Les Crayons Flingueurs c’est l’aventure ! Sans modèle collectif, simplement unis par une conscience politique, nous faisons ce qui doit être fait sans se préoccuper du lendemain.

Sur le plan individuel en revanche, il y a des modèles d’un point de vue artistique. Pierre Arthur par exemple aime beaucoup Ernst Fuchs, Matti Klarwein ou encore les symbolistes comme Gustave Moreau. Tenzin est plutôt inspiré par Dulac, Arthur Rackham, Frank Frazetta, Carlos Nine et John Buscema. Enfin Zemaxe aime plutôt Carlos Gimenez et Edika. Pour ma part, je ne désespère pas d’en trouver au moins un…

C’est par l’intermédiaire de Damien Viguier sur Twitter que j’ai appris la mort de Guy Sajer. Je ne vais pas raconter d’histoire, n’ayant pas une grande culture du dessin, je ne savais pas qui était ce Monsieur. Je me suis renseigné. J’ai d’abord été impressionné par ses dessins. Un grand talent. Puis j’ai découvert qu’il était Dimitri (Le Goulag). Ce qui m’a immédiatement ramené à mon enfance car j’avais souvenir d’avoir lu quelques uns de ses livres.

C’est l’avantage d’avoir du talent et d’avoir une œuvre. Que ce soit Guy Sajer grand dessinateur ou Stephane Blet grand pianiste, lorsqu’un génie passe de l’autre côté, il reste une partie de lui dans le monde physique. Une œuvre, c’est léguer une partie de soi. L’artiste, le vrai, est un immortel aux yeux des autres en quelque sorte. Lorsque j’écoute Vivaldi ou que lis du Céline par exemple, je ne me demande pas si ils sont morts. Alors que quand j’entends du Maître Gims ou que lis un paragraphe de Marc Levy, je me pose la question…

Quels rôles jouent pour vous les artistes (et leur sensibilité particulière) dans une société qui fonctionne, et dans des périodes de tyrannie comme celle-ci ?

C’est une bonne question mais complexe.

À la façon du Professeur, je vais tenter d’être dans l’exactitude. Qu’importe si la société dans laquelle se trouve un artiste est dysfonctionnelle ou non. Aucune société n’est parfaite. La seule différence entre une période stable et une période mouvementée, c’est la quantité de travail et le nombre de sujet qui sont à traiter.

L’artiste, qu’il soit sous la gouvernance d’un roi, d’un despote éclairé ou d’une gouvernance mondiale satanique, se doit de taper là où ça fait mal. Il doit montrer du doigt l’ennemi (car il y en a toujours un) et se doit d’être grinçant, percutant, irrévérencieux et ne doit surtout pas se préoccuper de son statut ou de son image. Ce qui est à dire, doit être dit. Point. Si il tire dans le bon sens, si il vise juste, instinctivement, les gens le suivront. Et ce sont les gens qui lui donneront son statut et son image. Pas l’artiste lui-même. Sinon ça s’appelle de la communication. Et à ce que je sache, la com’ n’a rien d’artistique.

D’ailleurs, l’artiste doit être identifiable à sa nation. Contrairement à ce qu’on nous rabâche depuis des lustres pour nous vendre l’homme sans frontière, le rêve Attalien (pour les autres, pas pour lui), l’artiste n’a pas à être international. Évidemment, il peut être reconnu à l’étranger, mondialement réputé, mais il doit être identifié. Ce n’est pas un citoyen du monde aux valeurs humanistes et mon cul sur la commode… Prenons Stéphane Blet qui est l’exemple parfait. Un virtuose du piano, mondialement reconnu et identifié comme français. Pas seulement comme un génie qui joue juste du piano. Même de Turquie que faisait-il ? Ne parlait-il pas sans arrêt de l’actualité française ?

La place de l’artiste est aussi très importante. L’artiste doit être du côté des intérêts du peuple et ne doit pas nécessairement se placer contre le pouvoir. Si le pouvoir en place bosse dans les intérêts de la masse, pourquoi être contre ? Et si l’artiste n’est pas avec le peuple, c’est qu’il est avec l’ennemi. Peut-être que certains pourraient trouver cette posture radicale. Mais un artiste se doit d’être dans la radicalité. J’en veux pour preuve le mouvement des gilets jaunes ou les deux dernières années. Qu’ils étaient beaux les acteurs, les cinéastes, les chanteurs, les écrivains lorsque les choses allaient plus où moins normalement. Et aujourd’hui, alors que nous entrons de plein pied dans l’apocalypse de Saint Jean, cette époque, notre époque marquée par l’empreinte de Satan, où sont-ils ? Où sont ces donneurs de leçon qui sucent le producteur (souvent de la communauté) pour un premier rôle ou un album, avant de parader à Cannes ou sur les plateaux télé, tout en prêchant la bonne parole de la bien-pensance avec encore une trace de sperme sur le coin de la bouche ?

Le moment de crispation sociale est l’ultime révélateur aux yeux du public. Qui dit vrai ? Qui ne dit rien ? Et qui ne dit mot consent !

Enfin, De Gaulle disait que la vieillesse était un naufrage. Cette phrase est très juste et elle l’est particulièrement pour l’artiste. Car oui, l’artiste vieillit mal généralement. Mais pas seulement sur l’aspect physique, il y a l’aspect social surtout.

Prenons un autre exemple avec Didier Bourdon. Qu’observons nous ? Si je me laisse aller, je dirais qu’on voit un type qui a récupéré le physique avantageux de Meyer Habib, le petit supplément cheveux gras pelliculés, avec des poches sous les yeux aussi grosses que la connerie de Marlène Schiappa. Didier ne porte pas le masque pour se protéger du méchant virus, il porte le masque pour cacher ce qu’il est devenu : Une sale gueule.

Lui, la tête pensante des Inconnus, si juste, si drôle, si précis et aimé à juste titre, est devenu un vulgaire acteur de cinéma français. Et pas celui de la grandeur. Ce cinéma français au fond du trou, bien lourd, bien gras, bien laid, subventionné à coup de millions par les régions et le CNC (Argent public au passage). Pourquoi ? Parce qu’il s’est embourgeoisé. Le patron, Alain Soral qui est lui même un artiste, des beaux arts au cinéma jusqu’à sa capacité à synthétiser les idées, l’a déjà expliqué largement avant moi dans un de ses abécédaires (je cite l’auteur contrairement à Zemmour).

Le brave Didier a vu sa conscience de classe évoluer, à mesure qu’il montait dans l’échelle sociale. Alors que la situation de la nation exige de l’artiste de donner son avis, de prendre position, se pose un cas de conscience de classe. Dois-je descendre de l’échelle pour accompagner ceux qui m’ont adulé et fait de moi « un artiste populaire » ? Ou dois-je balancer cette échelle pour être bien sûr de rester en haut ? Après tout, je n’ai pas mis autant de temps à monter pour finalement en redescendre. Non ?

En clair, lorsque l’artiste s’embourgeoise, il se renie, il se ment et trahit. Et quand vient le moment du choix qui le fera passer à la postérité ou aux oubliettes, soit il trahit sa nouvelle condition de bourgeois si chèrement acquise, soit il trahit le peuple. Et visiblement, nombreux sont les traîtres au peuple.

Vous l’aurez compris après ces quelques lignes, Les Crayons Flingueurs sont Égalité et Réconciliation compatibles. Et horreur ! Nous en sommes fiers.

Avez-vous participé aux dessins de la semaine ? Avez-vous déjà eu des soucis judiciaires à causes de vos dessins ?

À titre personnel mais aussi collectif, oui nous y avons participé, bien avant Les Crayons Flingueurs. On ne se connaissait pas. Aujourd’hui encore, on continue avec les dessins du mois. Pour un dessinateur d’actualité désireux de s’affranchir de cette merde idéologique dans laquelle nous baignons depuis les années 80 (je suis de 87), la rubrique d’E&R est un passage obligé à mon sens. Puis quel plaisir d’avoir de longues conversations par mails avec Zéon : Super. Bien reçu. Z

Un sacré bavard celui-là ! Une vraie pipelette ! Je taquine Zéon mais un jour il m’a donné un conseil important : Le meilleur dessin, c’est celui sans titre, ni dialogue. Juste le dessin.

Et je suis tout à fait d’accord.

D’ailleurs, c’est chez E&R, dans cette rubrique, que j’ai commencé à m’intéresser à ce qu’est un dessin d’actualité. C’est pathétique mais j’assume, j’ai longtemps « dessiné » avec le logiciel Paint. Le logiciel de base, le truc pour les gamins qui veulent faire des ronds et des étoiles sur ordinateur. Je faisais des dessins avec la souris mais en utilisant les formes. Les triangles, les traits… C’est idiot, mais de cette façon, j’ai appris à faire un dessin avec de la perspective. C’est aussi inutile qu’un Olivier Véran pour les français, mais je tiens à le dire, j’étais le boss sur ce logiciel. Je pense que j’aurais pu devenir formateur voir Young leader Paint 2018.

M’enfin, j’ai tout de même réussi à placer quelques dessins dans certains Almanach. La facture a été salée, j’ai du payer certains séjours au soleil de Myster Mayo qui se comportait comme un vulgaire Balkany, mais qu’est ce qu’on ferait pas pour être publié chez Kontre Kulture !

Aujourd’hui, j’ai quitté Paint, j’ai une belle tablette graphique. C’est moins romantique mais c’est plus pratique.

Pour la censure ça n’est jamais arrivé à l’un d’entre nous. Je me suis vu refuser un dessin par la rubrique un jour. Le service juridique avait jugé que ça n’était pas possible de le publier. Je retiens les mots de mon ami Conspi Comics qui m’a souvent répété que si on se fait prendre par la censure, c’est qu’on a échoué. Et c’est vrai.

De nos jours, il n’y a pas à se glorifier d’être censuré. Ce n’est pas un trophée que l’on exhibe fièrement tout en bombant le torse. E&R en a payé le prix fort. Égalité et Réconciliation a montré où était la limite sur plusieurs années. QUI ne la connaît pas ? Si aujourd’hui tu la franchis, c’est soit que tu es un idiot, soit tu le fais en conscience, et dans ce cas, tu ne pleures pas des conséquences à l’arrivée.

Je pense qu’au fond (c’est malheureux) nous savons quelles routes nous pouvons empreinter en se posant aucune question et les, voir plus précisément LA route interdite. Ce qui doit surtout pas nous empêcher d’en parler ! Juste d’une autre manière. L’important n’est pas la forme. L’important c’est de quand-même passer ton message malgré la censure. Puis après tout, quelque soit le sujet de nos turpitudes ou de nos tourments, globalement, de la même façon qu’avant tous les chemins menaient à Rome, à notre époque, ils mènent plutôt du côté de la synagogue. Alors…

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