Extrait de son manifeste, La Société industrielle et son avenir.
Le système industriel ne s’écroulera pas suite à la seule action révolutionnaire. Il ne sera pas vulnérable à une attaque révolutionnaire à moins que ses propres problèmes internes de développement ne le mènent à des difficultés très sérieuses. Donc si le système s’écroule il le fera soit spontanément, soit par un processus en partie spontané, mais aidé par des révolutionnaires. Si la chute est soudaine, beaucoup de gens mourront, car la population mondiale est devenue si enflée qu’elle ne peut même pas s’alimenter plus longtemps sans technologie de pointe. Même si la chute est assez graduelle pour que la réduction de la population puisse se produire plus par baisse du taux de natalité que par élévation du taux de mortalité, le processus de désindustrialisation sera probablement très chaotique et impliquera beaucoup de souffrance. Il est naïf de croire possible que la technologie puisse être éliminée progressivement d’une façon ordonnée et sans à-coup, d’autant plus que les technophiles se battront obstinément à chaque étape. Est-ce qu’il est donc cruel de travailler à l’effondrement du système ? Peut-être, mais peut-être pas.
En premier lieu, les révolutionnaires ne seront pas capables de démolir le système à moins qu’il ne soit déjà dans de profondes difficultés de sorte qu’il y aurait une bonne chance qu’il finisse par s’effondrer seul de toute façon ; et plus le système devient gros, plus désastreuses les conséquences de sa chute; donc il se peut que les révolutionnaires, en accélérant l’apparition de la chute réduisent l’étendue du désastre.
En second lieu, il faut comparer la peine et la mort avec la perte de la liberté et de la dignité. Pour beaucoup d’entre nous, la liberté et la dignité sont plus importantes qu’une longue vie ou l’absence de douleur physique. De plus, nous devrons tous mourir un jour et il est peut-être mieux de mourir en se battant pour survivre, ou pour une cause, que de vivre une vie longue mais vide et sans but.
En troisième lieu, il n’est pas du tout certain que la survie du système mènera à moins de souffrance que sa chute. Le système a déjà causé et continue à causer, d’immenses souffrances dans le monde entier. Des cultures antiques, qui pendant des centaines d’années ont donné aux gens un rapport satisfaisant entre eux et avec leur environnement, ont été brisées par le contact avec la société industrielle et le résultat a été un catalogue entier de problèmes économiques, environnementaux, sociaux et psychologiques. Un des effets de l’intrusion de la société industrielle a été que dans la plus grande partie du monde le contrôle traditionnel de la population a été déséquilibré. De là l’explosion démographique, avec tout ce qu’elle implique. Puis il y a la souffrance psychologique qui est répandue partout dans les pays censément chanceux de l’Ouest (…). Et, comme la prolifération nucléaire l’a montré, la nouvelle technologie ne peut pas être maintenue hors des mains des dictateurs et des nations irresponsables du Tiers- Monde. (…)
« Oh! » Disent les technophiles, « la Science va réparer tout cela ! Nous vaincrons la famine, éliminerons la souffrance psychologique, rendrons chacun sain et heureux! » Ouais, sûrement. C’est ce qu’ils ont dit il y a 200 ans. La Révolution Industrielle était censée éliminer la pauvreté, rendre chacun heureux, etc. Le résultat réel a été tout à fait différent. Les technophiles sont désespérément naïfs (ou se mentent) dans leur compréhension des problèmes sociaux. Ils sont inconscients du fait (ou veulent ignorer) que quand de grands changements, même apparemment avantageux, sont introduits dans une société, ils mènent à une longue séquence d’autres changements, dont la plupart sont impossibles à prévoir (…).
Le résultat est la rupture de la société. Donc il est très probable que dans leur tentative pour éliminer la pauvreté et la maladie, fabriquer des personnalités dociles, heureuses et ainsi de suite, les technophiles créeront des systèmes sociaux qui seront terriblement perturbés, plus même que le système actuel. Par exemple, les scientifiques se vantent qu’ils élimineront la famine en créant de nouveaux aliments génétiquement élaborés. Mais cela permettra à la population humaine de continuer à s’étendre indéfiniment et il est bien connu que la surpopulation mène à plus de stress et d’agressivité. C’est simplement un exemple des problèmes PRÉVISIBLES qui surgiront.
Nous insistons sur le fait que que, comme l’expérience passée l’a montré, le progrès technique mènera à d’autres nouveaux problèmes pour la société beaucoup plus rapidement qu’il n’aura résolu les anciens. Ainsi il faudra aux technophiles une longue période difficile d’essais et d’erreurs pour déboguer leur Meilleur des Mondes (s’ils y arrivent jamais). En attendant il y aura de grandes souffrances. Donc il n’est pas du tout clair que la survie de la société industrielle impliquerait moins de souffrance que la chute de cette société. La technologie a mis la race humaine dans une situation d’où il n’y a probablement pas d’évasion facile.

