Lisez la Bible !

Extrait tiré de Frère gaucher ou le voyage en Chine, 1975


LETTRE 70 : Guy Rachet, le 12 novembre 1967

Cher ami,

Vous n’avez pas lu la Bible ? Mais qu’attendez-vous donc ? C’est par là que vous devez commencer. Blasphème ou non, c’est une des bases de la culture occidentale. C’est aussi important que l’Iliade et l’Odyssée ! De plus, c’est passionnant.

Si vous l’aviez lu vous sauriez que le Dieu vivant, celui des Juifs et des chrétiens, n’est pas un pur esprit : il a un corps, et il le dit lui-même, par le truchement des textes inspirés.

Ainsi, pour fabriquer l’homme, il commence par faire une statue d’argile « à son image et à sa ressemblance » et cette ressemblance est physique, car c’est plus tard seulement qu’il souffle un souffle de vie (anima) dans les narines de cette statue qui lui ressemble.

Ainsi, après la Chute, il se promène dans le Jardin en appelant Adam et Eve et, comme ceux-ci se cachent, il ne les voit pas.

Par ailleurs, l’œil de Dieu est bien connu, puisque son prodigieux pouvoir séparateur est passé en proverbe !

Dieu a aussi des mains. Les Tables de la Loi sont gravées dans la pierre, de la main même de Dieu et de l’écriture de Dieu (Exode, 32,16). Il semble même que l’Eternel, dans sa prescience infinie, en ait fait une copie carbone, puisque Moïse, après avoir brisé, dans sa rage, le premier exemplaire, remonte incontinent en chercher un deuxième !

Enfin je vous apprends que Dieu a aussi des pieds, témoin cette curieuse prescription du Deutéronome (chapitre 23, versets 13 et 14) d’après laquelle tout Hébreu doit posséder une petite pelle pour enterrer ses excréments dans le désert, car (je cite) « car l’Eternel ton Dieu marche au milieu de ton camp pour te protéger et te livrer tes ennemis… » Dieu a donc des pieds, et il risque de les salir s’il ne regarde pas bien où il les met quand il marche…

Pour ce qui est de l’aspect psychologique, je passe rapidement sur les colères de Dieu, ses repentirs, ses vengeances, sa cruauté bien connue, sa vanité presque enfantine : à preuve la précision comique avec laquelle il fixe lui-même le rituel des sacrifices qu’on doit lui offrir. Car Yahweh, je le répète, est un Dieu païen et, comme tel, il exige des sacrifices sanglants. Et si les Juifs modernes n’en font plus, c’est que leur tradition leur interdit de célébrer un véritable culte en dehors du temple de Jérusalem. Mais il n’en reste pas moins que la chair qui brûle est, dit la Loi, « d’une agréable odeur à l’Eternel ».

J’espère que, cette fois-ci, voilà votre affaire ? Mais pour l’amour du diable ou de qui vous voudrez, lisez la Bible !

Amitiés.


LETTRE 81 : Guy Rachet, le 12 décembre 1967

Enfin, vous lisez donc ! Que voilà une bonne nouvelle !

Cependant, je dois vous mettre en garde contre votre tendance à vous raccrocher aux interprétations chrétiennes. Encore une fois, lisez ce qui est écrit, rien que ce qui est écrit, et oubliez tout ce que vous savez de cet infâme roman rose qu’on appelle l’Histoire Sainte.

Ainsi, Dieu ne crée pas le monde. Il l’organise, ce qui est bien différent. Le double récit de la Genèse est formel sur ce point.

Ensuite, il n’y a pas de diable. Le serpent de l’Éden c’est le vrai serpent, « le plus intelligent des animaux que Yahweh avait créés sur la terre ». Le diable, tel que nous le connaissons, c’est-à-dire le Dieu Méchant, l’Ennemi, Prince de ce monde, est une conception purement iranienne, adoptée sur le tard par les Juifs décadents. Il n’y a pas de diable dans la Thora. Non que cette dernière soit strictement monothéiste (il n’y a pas de monothéisme strict) mais parce que les Esprits, les Anges, bons ou mauvais, sont tous, sans exception, sous les ordres de l’Eternel, et ne se permettent pas d’agir sans son aveu. Entre le Panthéon grec et le Panthéon juif il n’y a qu’une différence, mais bien réelle : le premier est une monarchie constitutionnelle (tout le monde, même les Dieux, est soumis au Principe Unique de la Nécessité) tandis que le second est un régime du bon plaisir, une monarchie absolue.

Le résultat, c’est qu’il n’y a pas non plus de « Bon Dieu ». La bonté, cette hémiplégie de la vertu (l’expression est de Nietzsche), est parfaitement étrangère au judaïsme. L’Eternel fait le bien et le mal, il inspire les faux comme les vrais prophètes, il envoie à Saül la sagesse, puis la folie – à Job la maladie, puis la santé. N’étant ni diable ni bon Dieu, mais agent unique de l’Univers, il est bien obligé de jouer les deux rôles…

Je reconnais que les textes législatifs du Pentateuque peuvent paraître arides, mais lisez-les quand même. Vous y trouverez beaucoup de choses intéressantes, quelques unes franchement savoureuses. Un peu de patience ! Je vous promets qu’à partir du Deutéronome vous ne vous ennuierez plus – du moins jusqu’aux prophètes. A bientôt. Tenez-moi au courant.


LETTRE 86 : Guy Rachet, le 20 décembre 1967

Cher ami,

Une fois pour toutes, vous ne m’ennuyez pas du tout, au contraire.

Ce que les Juifs appellent la Thora, ou la Loi, c’est ce que les chrétiens appellent Pentateuque : l’ensemble des cinq premiers livres de l’Ancien Testament, attribués à Moïse, mais sans doute rédigés, après le retour de Babylone, sous l’influence directe du sacrificateur Ezra, en partant de documents plus anciens.

Quand vous parlez des deux dieux du christianisme, vous en oubliez un. Je laisse de côté les petits dieux subalternes (anges ou démons) qui obéissent à leurs patrons respectifs, mais il faut tenir compte aussi d’un certain nombre de personnages dont l’Écriture nous dit qu’ils sont montés au ciel avec leur corps, et qui naviguent depuis dans les espaces interplanétaires : c’est le cas du prophète Elie (dans les Rois), de Jésus ressuscité, et aussi, d’après la tradition chrétienne, de Marie. Tous les trois sont des dieux, au sens païen du mot, puisqu’ils sont corps glorieux, immortels, doués de pouvoirs supranormaux… Dites-moi un peu ce qui les différencie d’Hermès ou d’Apollon !

Quant au caractère non scientifique de la Création, dans l’hypothèse où Yahweh existe, je n’y vois qu’une explication, mais bien simple, c’est qu’il ment, voilà tout. Il ment quand il raconte qu’il a formé le monde (auquel il n’a rien compris d’ailleurs), il ment quand il prétend que la mort n’est pas un phénomène naturel, mais un châtiment infligé par lui, il continue de mentir, vous le verrez, par la suite. Ce n’est pas ça qui le gêne !

Au fait : de quoi vivait le bacille de Koch, avant la Chute ?

A vous lire, et toutes mes amitiés.


LETTRE 91 : Guy Rachet, le 9 janvier 1968

Cher ami,

Merci pour vos bons vœux. A vous de même, de notre part à tous.

Je vois que vous avez profité des fêtes, et sérieusement avancé dans la lecture de la Parole divine. Que cela vous semble un peu touffu n’a rien de surprenant, mais plus vous avancerez, plus tout s’éclaircira. Si cela peut vous aider, voici, très résumée, l’histoire que raconte la Bible :

Donc, au commencement, Dieu se vante mensongèrement d’avoir fabriqué le monde, les plantes, les animaux et le premier couple humain. Ce couple, il l’enferme dans un jardin, où il y a, entre autres, deux arbres : un dont les fruits empêchent de mourir, et un dont les fruits donnent « la connaissance du bien et du mal ». Nous savons tous, bien sûr, que le bien et le mal sont des notions relatives, mais Dieu veut nous faire croire que ce sont des absolus…

Dieu dit aux premiers hommes : Si vous mangez des fruits de cet arbre, vous mourrez. Le serpent, lui, dit : Ce n’est pas vrai, vous ne mourrez pas, mais vous deviendrez « comme des dieux, connaissant le bien et le mal ». Ils en mangent et… c’est le serpent qui avait raison, ils deviennent les égaux de Dieu.

Celui-ci se fait alors le raisonnement suivant : L’homme est à présent mon égal, puisqu’il possède à la fois Connaissance et Immortalité. Si je veux le dominer, il faut que je l’éloigne de l’arbre dont les fruits empêchent de mourir.

C’est ce qu’il fait. Mais, ce faisant, il commet une erreur. Les hommes deviennent mortels, mais libres : ils vivent de leur travail, et ne doivent plus rien à l’Eternel. Ils croissent, se multiplient, et Dieu s’inquiète de leur puissance. Il en noie la plus grande partie. Plus tard, il les divise en nations parlant différentes langues. Enfin, il croit trouver le moyen de rétablir son autorité sur eux. Il lance l’Opération Peuple élu.

Pour cela il choisit un patriarche selon son cœur, Abraham, et veut faire de lui l’ancêtre d’une race privilégiée, destinée à dominer le genre humain et à lui imposer l’adoration du Dieu unique. Pour être dignes de cette élection, il suffira que les enfants d’Abraham soient circoncis, monolâtres, et qu’ils n’épousent pas de femmes de la race impure (les Chananéens, déjà maudits par Noé).

Ça ne marche pas du premier coup. Ismaël, premier fils d’Abraham, est d’abord exclu de l’alliance, à cause de la jalousie de Sara. Du fils de cette dernière, Isaac, naissent deux garçons : Esaü et Jacob. Mais l’aîné, Esaü, épouse une Chananéenne, ce qui le disqualifie (le plat de lentilles n’est qu’un prétexte). C’est seulement Jacob, surnommé Israël, qui sera l’ancêtre du peuple hébreu, l’Élu de l’Éternel. Encore toute la tribu doit-elle émigrer en Égypte pour rejoindre Joseph, le fils préféré de Jacob, qui est devenu conseiller du Pharaon. Ici se termine le livre de la Genèse.

Les trois livres suivants : Exode, Lévitique et Nombres, racontent comment, les Hébreux, conduits par Moïse, quittèrent le pays d’Égypte et parvinrent, non sans peine, à rejoindre la terre de Chanaan, qui est la Terre promise — la Palestine.

Pourquoi ce nouveau départ ? La Genèse nous raconte que Joseph profitait de la famine pour exproprier les paysans égyptiens, en échange du grain qu’il avait stocké pendant les années grasses bref, qu’il était ce qu’on appellerait aujourd’hui un spéculateur, un accapareur et un mercanti. C’est depuis ce temps-là, dit le texte, que toutes les terres d’Égypte appartiennent au Pharaon, et non aux paysans qui les cultivent. Cela explique peut-être qu’au début de l’Exode les Égyptiens soient devenus des antisémites convaincus les premiers de l’Histoire.

En même temps que le récit de la longue marche dans le désert, les trois livres susnommés nous exposent la Loi dictée par l’Eternel à Moïse. Cette Loi est reprise, résumée et complétée dans le Deutéronome, dernier livre de la Thora, qui raconte également le début de la pénétration du peuple élu en Palestine, et la mort de Moïse.

Je ne suis pas toujours d’accord avec notre ami Gripari, que son antijudaïsme mène parfois un peu loin, mais il faut tout de même reconnaître que la doctrine de la Thora est avant tout raciste. C’est qu’en effet Yahweh, quand il fait cadeau à son peuple de la Palestine, donne en réalité ce qui ne lui appartient pas. Le pays est déjà occupé par un certain nombre de petites nations qu’on désigne, le plus souvent, par le nom de l’une d’elles : les Chananéens, proches parents, par la langue, des Phéniciens et… des Hébreux eux-mêmes ! Ces peuples font l’objet, dans le Deutéronome, d’un véritable ordre de génocide rituel, lequel sera exécuté, rigoureusement ou presque, par Josué, un peu moins rigoureusement par les Juges, et presque plus du tout à l’époque de Samuel. Si bien qu’à l’époque des Rois, après le schisme entre Juda et Israël, ce dernier, qui est le royaume du Nord, contiendra une importante population chananéenne qui gardera ses traditions, ses dieux, ses rites, au grand désespoir des prophètes !

Dieu, une fois de plus, a donc raté son coup. Il espérait dominer le monde par l’intermédiaire de son peuple, mais il n’arrive pas à dominer, même son peuple, sans partage. La race élue n’est qu’une caste coloniale, exploitant une population indigène avec laquelle elle se mélange plus ou moins, malgré une volonté de ségrégation affirmée avec insistance. A sa plus brillante époque, qui est le règne de Salomon, Israël n’a été qu’un petit royaume du Proche-Orient, plus ou moins tributaire tantôt des Phéniciens, tantôt des Égyptiens.

Quelques générations après le schisme, les deux royaumes hébreux tombent, l’un après l’autre, sous les coups de l’envahisseur mésopotamien. Mais, tandis que les Israélites se laisseront assimiler et se confondront rapidement avec le reste de la population locale, les Juifs (les citoyens du royaume de Juda) garderont, jusque dans l’exil, leur personnalité ethnique, et ce grâce à une politique de discrimination raciale particulièrement rigoureuse, définie par le sacrificateur Ezra (ou Esdras), qui est le vrai fondateur du judaïsme moderne.

Cependant, ils ne regagneront pas leur indépendance. Après l’exil babylonien (Jérémie, Daniel), ils deviendront sujets des Perses (Esther), puis des Grecs alexandrins (Macchabées) et enfin des Romains (Apocalypse attribuée à saint Jean). Ils auront beau se tourner vers Dieu : la promesse faite à Abraham ne sera pas tenue.

J’espère qu’après cela vous pourrez blasphémer en conscience, et de tout votre cœur ! Si Dieu n’existe pas, vous n’insulterez personne, et s’il existe, il ne mérite pas autre chose !

Là-dessus, je vous souhaite bon courage, bon travail et bon succès pour cette nouvelle année.


LETTRE 94 : Guy Rachet, le 16 janvier 1968

Cher ami,

C’est en effet Cham, et non Chanaan, qui a regardé Noé à poil quand il était ivre. Mais, pour la Thora juive, la culpabilité n’est pas encore personnelle : elle est raciale, tribale, nationale. C’est la logique de la vendetta.

C’est ainsi que l’infidélité de Salomon ne sera pas expiée par Salomon lui-même, « en souvenir de son père David », mais par ses fils. A la fin de la dernière guerre, on a même essayé de relancer cette idée, en parlant d’une « culpabilité collective » du peuple allemand.

Caïn et Abel. N’oubliez pas qu’ « Abel était berger et Caïn laboureur ». Cette histoire illustre la haine héréditaire qui oppose les peuples cultivateurs aux peuples pasteurs et nomades : Russes contre Tatars, Américains blancs contre Peaux-Rouges. Le Dieu de la Thora, lui, est pour les nomades. C’est pourquoi il accable Caïn, sans le détruire cependant, car le pillard a de plus en plus besoin du paysan tant méprisé…

Le christianisme peut être, en effet, considéré comme une nouvelle tentative de Dieu pour mettre la main sur l’humanité. Au lieu de soutenir le racisme d’un seul peuple, le Superman imposerait alors à ses adorateurs un racisme antihomme : c’est toute la race d’Adam, cette fois, qui est impure. Mais il est possible à chaque individu de gagner l’immortalité personnelle et la béatitude céleste. Pour cela il faut, bien sûr, aimer Dieu, et surtout se croire racheté par le meurtre rituel de Jésus-Christ. Le fidèle ainsi sauvé bénéficiera de cette fameuse résurrection de la chair que la Thora ignore, qui était niée par les Sadducéens (parti du Temple), mais que les Pharisiens (parti de la Synagogue) enseignaient dès avant le début de notre ère.

Cette nouvelle opération, que nous pourrions appeler l’Opération Rédemption, a échoué elle aussi. Nous assistons maintenant à l’agonie des Églises chrétiennes. Les orthodoxes non encore exterminés sont presque partout noyautés par les communistes, et quant à Rome, elle n’enseigne plus qu’un vague déisme de type rousseauiste ou voltairien, agrémenté de slogans gauchistes. Je ne crois pas non plus que l’Islam soit éternel, bien qu’il soit plus viril, et se défende mieux.

Si cela vous amuse, vous pouvez continuer vos investigations en direction de l’occultisme maçonnique ou rosicrucien. Je peux également vous prêter La doctrine secrète de Madame Blavatsky, qui est la Bible des Théosophes. Entre nous, je préfère la vraie Bible : c’est plus drôle, et surtout, littérairement parlant, c’est meilleur.

Tenez-moi au courant de vos travaux. J’aime à voir grandir cet enfant dont je vous aide à accoucher.


LETTRE 106 : Guy Rachet, le 10 mars 1968

Cher ami,

Je vais vous décevoir peut-être, mais je ne m’associe pas à vos moqueries contre les mystiques chrétiens. Bien qu’athée convaincu et ennemi du dogme, je n’en pense pas moins qu’il y a, chez des gens comme sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix, Madame Guyon ou, mieux encore, l’adorable Maître Eckhart, une expérience vécue, importante, positive, qui débouche en fin de compte sur de précieuses recettes de sagesse pratique.

Bien sûr il faut s’entendre. Pour moi l’expérience mystique n’est pas liée à la Foi, je veux dire à la croyance. Les mystiques les plus purs et les plus authentiques sont justement, pour moi, ceux qui ne croient à rien : Héraclite, Bouddha, Lao-Tseu, Epicure. Par ailleurs je n’attache aucun prix aux miracles, ni aux états supranormaux : extases, lévitation et autres… J’y crois fort peu d’abord, et ensuite la question n’est pas là.

Le vrai mystique, pour moi, c’est l’individu qui se détache, qui apprend à jouir, non de ce qu’il possède, non même de ce qu’il est, mais seulement de son être, non de son MOI, mais de son JE, du sujet percevant, qui ne peut être objet de connaissance, de même que l’œil ne peut se voir lui-même… Je ne pense d’ailleurs pas qu’il soit possible, ni même souhaitable, d’être dans cet état vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais ce dépouillement est un bon exercice à pratiquer, disons, un quart d’heure par jour. Cela permet de remettre les choses à leur place, et de ne pas leur donner plus d’importance qu’elles n’en ont. Cela n’a l’air de rien, mais c’est toute la Sagesse, peut-être la Sainteté… C’est, en tout cas, la seule vertu qui compte.

On peut y accéder par plusieurs voies : la voie chrétienne : faire le vide en soi pour se remplir de Dieu. Mais, pour cela, il faut croire en Dieu.

2, la voie hindouiste : renoncer au Moi au profit d’un Je transcendantal, commun à tous les êtres, unique et immortel. Encore, il faut y croire : en fait, le Je n’est que vu de l’intérieur. Il est donc mortel, comme lui.

3, la voie athée, qui est celle des Épicuriens, des Taoïstes et aussi la mienne : vision cosmique de l’impermanence universelle, acceptation d’icelle et recherche raisonnable du Plaisir.

4, mention spéciale pour la voie de Gurdjieff qui termine, elle, sur une expérience du temps vécu, originale et fort intéressante. Quand nous nous représentons le temps du point de vue scientifique, nous avons la vision d’un passé infini, d’un futur infini, et d’un pauvre petit présent tout écrasé entre les deux, fuyant, sans épaisseur… Dans la réalité vécue, c’est le contraire : c’est l’avenir et le passé qui n’existent pas, seul le présent existe, tout ce qui est, est au présent, toute la substance, tout le poids du monde sont au présent. Il nous faut donc apprendre à jouir du présent, sans regret du passé, sans crainte et sans espoir pour l’avenir… D’où les exercices de rappel à soi de vie dans l’instant que Gurdjieff imposait à ses disciples, exercices difficiles, mais extrêmement payants du point de vue hygiène mentale… Je crois d’ailleurs que ce « dépassement dans l’instant » est en fin de compte le grand secret du Bouddhisme Zen. Le bouddha n’a-t-il pas enseigné que l’âme d’un individu se détruit et se reconstruit à chaque instant de la durée ? Jouir de son être, pour l’homme, cela revient donc bien à jouir de la seconde présente, car dans une seconde, il ne sera plus celui-là, mais un autre.

Personnellement je suis sûr que tous les grands mystiques, même chrétiens, ont vécu cela, et qu’au fond eux-mêmes ils se foutaient pas mal de la Trinité, de l’Incarnation et de la Rédemption. On prête à Maître Eckhart ce mot d’une profondeur étrange : Qu’importe que le Fils de Dieu se soit incarné, si ce n’est pas en moi ?

Tout cela pour vous faire comprendre que je souffre lorsque je vous vois amalgamer la superstition judéo-chrétienne avec une expérience générale que je prends au sérieux. Ce n’est pas juste, et cela rapetisse votre œuvre.


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