Lettres de Julien l’Empereur

JULIEN AUX Edesséniens, 362 apr. J.-C.

J’ai usé envers tous les Galiléens de douceur et d’humanité, de manière qu’aucun d’eux ne fût nulle part violenté, ni traîné au temple, ni contraint par de mauvais traitements à quelque autre action contraire à sa volonté. Cependant ceux de l’église arienne, enflés de leurs richesses, ont attaqué les Valentiniens et commis dans Édesse des excès qui ne pourraient jamais se produire dans une ville bien policée. Or donc, puisque la plus admirable des lois leur enjoint de renoncer à ce qu’ils ont afin de parcourir plus aisément la route qui mène au royaume des cieux, associant à cet égard nos efforts à ceux de leurs saints, nous ordonnons que tous les biens de l’église d’Édesse leur soient enlevés, l’argent pour être donné aux soldats, et les terres pour être réunies à notre domaine privé. Ainsi, la pauvreté les rendra modestes et ils ne seront point exclus de ce royaume céleste qu’ils espèrent encore. Aux habitants d’Édesse, nous enjoignons de s’abstenir de toute sédition et querelle, de peur qu’irritant notre Clémence contre vous-mêmes, vous n’ayez à expier ces désordres publics par les peines du fer et du feu et de l’exil.


JULIEN AUX ALEXANDRINS, 362 apr. J.-C.

Quand même votre fondateur serait un de ces hommes qui, violateurs de leur propre loi, ont subi un châtiment mérité pour avoir adopté un genre de vie illicite et introduit une prédication et un enseignement subversifs, même alors, vous auriez tort de nous réclamer Athanase. Mais ayant en réalité pour fondateur de votre cité Alexandre, pour dieu tutélaire le roi Sarapis avec la jeune déesse qui siège à côté de lui, la reine de toute l’Égypte ISIS, ne prenant point pour modèle la partie saine de la ville ; mais la partie corrompue ose parler au nom de la cité.

Par les dieux, j’ai grande honte, citoyens d’Alexandrie, qu’un seul d’entre vous consente à s’avouer Galiléen. Les pères des vrais Hébreux furent jadis les esclaves des Égyptiens, tandis que vous, aujourd’hui, citoyens d’Alexandrie, après avoir maîtrisé les Égyptiens (car le fondateur de votre cité a conquis l’Égypte), voici que, vous soumettant à des gens qui ont fait fi des croyances de leurs pères, vous acceptez volontairement une servitude inconciliable avec vos antiques institutions. Vous perdez donc la mémoire de ce qu’était jadis votre prospérité, lorsque l’Égypte entière était en communication avec les dieux et que nous jouissions d’une abondance de biens ? Ceux qui viennent d’introduire chez vous cette nouvelle doctrine, quel avantage ont-ils procuré à votre cité, dites-le moi ? Vous avez eu pour fondateur un homme pieux, Alexandre de Macédoine ; auprès de lui, par Zeus, que sont ces gens-là ?

Que sont les Hébreux, qui cependant valaient beaucoup mieux qu’eux ? À son tour, Ptolémée, le fils de Lagus, ne l’emporta-t-il pas sur les Juifs ? Quant à Alexandre, s’il avait eu à se mesurer avec les Romains, il leur aurait bien tenu tête. Et encore, quand après votre fondateur, les Ptolémées entourèrent votre cité naissante des soins qu’un père a pour sa propre fille, ils ne se sont pas inspirés des discours de Jésus pour l’agrandir, et ce n’est pas l’enseignement odieux des Galiléens qui leur a fait créer l’administration à laquelle elle doit son bonheur présent. En troisième lieu, quand nous, Romains, nous en sommes devenus les maîtres après avoir renversé le mauvais gouvernement des Ptolémées, Auguste s’arrêta dans votre ville et, s’adressant à vos concitoyens : « Alexandrins, dit-il, je renonce à tout grief contre votre cité par respect pour le grand dieu Sarapis et aussi par égard pour le peuple lui-même et la grandeur de votre ville ; une troisième raison de ma bienveillance envers vous, c’est l’amitié que j’ai pour Arius. » Cet Arius, un philosophe, était à la fois votre concitoyen et le confident de César Auguste.

Telles sont, pour le dire en peu de mots, les faveurs particulières que votre ville tient des dieux olympiens, et j’en passe un grand nombre, de peur d’être long. Quant à celles que, chaque jour, vous partagez, non pas avec quelques hommes, ni avec une seule race, ni avec une seule cité, mais que les dieux visibles répandent en même temps sur le monde entier, comment pouvez-vous les méconnaître ? Seuls, êtes-vous insensibles à la splendeur qui descend du Soleil ? Seuls, ignorez-vous qu’il produit l’été et l’hiver ? Seuls ne savez-vous point qu’il est le générateur de la vie et du mouvement dans l’univers entier ? Et la Lune, qui reçoit de lui et par lui le pouvoir de produire toute chose, ne remarquez-vous pas les biens qu’elle prodigue à votre ville ? Et vous osez refuser votre adoration à tous ces dieux, tandis que ce Jésus, que ni vous ni vos pères n’avez vu, vous pensez que, nécessairement, il est le Dieu-Verbe ? Celui, au contraire, que, depuis le commencement des âges, le genre humain tout entier aperçoit et contemple et vénère, et dont le culte fait notre bonheur, je veux dire le grand Hélios, l’image vivante, animée, intelligente, et bienfaisante du Père intelligible. Si, quelque brèves que soient mes exhortations, vous voulez bien m’écouter, revenez à la vérité : vous ne perdrez pas le bon chemin en me suivant. Comme vous, j’ai marché dans cette voie-là jusqu’à l’âge de vingt ans, et voici qu’avec l’aide des dieux, je marche dans celle-ci depuis douze années déjà.

Si vous écoutez l’ami qui vous parle, vous me réjouirez davantage ; si au contraire vous prétendez rester fidèles à la superstition et à la « catéchèse » de ces fourbes, du moins demeurez unis entre vous et ne regrettez point Athanase. Il n’a que trop de disciples capables de vous satisfaire lorsque vos oreilles ont la démangeaison d’entendre des paroles irréligieuses. Plût au ciel que la perversité de l’école impie d’Athanase fût toute concentrée en lui seul ! Mais vraiment il y a chez vous une foule de gens distingués qui ne vous laisseront point dans l’embarras. Choisissez au hasard dans la masse : pour tout ce qui touche à l’explication des Écritures, le premier venu vaudra bien celui que vous regrettez. Si c’est à cause des autres talents d’Athanase (il y a beau temps en effet que je le sais capable de tout) que vous soupirez après lui et que vous avez fait cette requête, sachez que c’est pour cela même qu’il est expulsé de votre ville. On ne vaut rien pour conduire un peuple, quand on a l’esprit d’intrigue. Et si, au lieu d’un homme, il s’agit d’un misérable avorton comme lui, qui croit se grandir en risquant sa tête, cette prétention est une source de désordre. C’est pourquoi, afin qu’il ne se produise rien de pareil chez vous, après avoir ci-devant ordonné qu’il quitte la ville, aujourd’hui nous le chassons de toute l’Égypte.
Que ceci soit omis sous les yeux de nos concitoyens d’Alexandrie.


JULIEN AUX BOSTRÉNIENS, 362 apr. J.-C.

Je m’imaginais que les chefs des Galiléens auraient plus de reconnaissance pour moi que pour celui qui m’a précédé dans le gouvernement de l’empire. Sous son règne, bon nombre d’entre eux ont été exilés, persécutés, emprisonnés. Parfois même on a égorgé en masse ceux qu’ils appellent hérétiques. C’est ainsi qu’à Samosate, à Cyzique, en Paphlagonie, en Bithynie, en Galatie et dans beaucoup d’autres contrées, des bourgades entières ont été pillées et anéanties. Sous mon règne, c’est le contraire ; les proscrits ont été libérés et ceux dont les biens avaient été confisqués ont pu les recouvrer intégralement en vertu d’une de nos lois. Malgré cela, ces frénétiques en sont venus à un tel excès de démence que, se voyant empêchés d’exercer leur tyrannie et de continuer leurs violences, tout d’abord entre eux, puis contre nous qui servons les dieux, ils s’exaspèrent ; ils remuent ciel et terre ; ils osent agiter les foules et les ameuter, sans respect pour les dieux, sans égard pour nos ordonnances, cependant si pleines d’humanité. En effet, nous ne tolérons pas qu’on les traîne de force aux autels, et nous leur déclarons formellement que si, de son plein gré, l’un d’entre eux se décide à prendre part à nos lustrations et à nos libations, il doit tout d’abord recourir à des rites expiatoires et supplier les dieux apotropaïques – tant nous sommes loin, j’en atteste Zeus, d’avoir jamais eu la volonté ni la pensée d’admettre un seul de ces impies à nos saints sacrifices avant qu’il ait effacé les souillures de son âme par les prières aux dieux, et celles de son corps par les purifications usuelles.

Les séditions des foules trompées par ceux qu’on appelle clercs proviennent manifestement de la répression de cette licence. Loin de s’estimer heureux de l’impunité acquise à leurs méfaits passés, nos tyrans d’hier regrettent le temps de leur domination ; irrités de ne plus pouvoir rendre la justice, écrire des testaments, s’approprier l’héritage d’autrui, tirer tout à eux, ils font jouer tous les ressorts du désordre ; ils versent du feu sur le feu, comme on dit, et, en poussant les foules à la discorde, ils osent ajouter à leurs précédents méfaits des crimes plus grands encore. C’est pourquoi il m’a paru bon de faire savoir à tous les peuples par le présent décret et de déclarer publiquement qu’il est interdit de s’unir aux clercs en révolte, de se laisser entraîner par eux à jeter des pierres ou à désobéir aux magistrats. Qu’ils tiennent leurs réunions tant qu’il leur plaira ; qu’ils fassent pour eux-mêmes les prières accoutumées ; mais si le clergé, pour ses intérêts, leur prêche la rébellion, que l’accord cesse ; autrement, ils seront punis.

J’ai eu l’idée d’adresser cette proclamation spéciale à la cité des Bostréniens, parce que son évêque Titus et ses clercs, dans des suppliques qu’ils m’ont remises, se sont faits les accusateurs des masses qu’ils ont avec eux : à les en croire, ils recommandent le calme à la foule qui, sans eux, serait prête à commettre des excès. J’insère dans cet édit l’expression même que Titus ose faire figurer dans ses suppliques : « Quoique les chrétiens puissent mesurer leur nombre avec celui des Hellènes, nos exhortations les ont tous retenus de commettre le moindre excès ». Voilà en quels termes votre évêque parle de vous. Vous voyez que ce n’est pas à votre bon esprit qu’il attribue votre tranquillité. C’est malgré vous, dit-il, que vous êtes retenus par ses exhortations. Puisqu’il vous accuse ainsi, expulsez-le spontanément de votre ville. Maintenez la concorde entre vos foules. Point d’opposition, point d’illégalité. Vous qui êtes dans l’erreur, respectez ceux qui, en toute droiture et justice, rendent aux dieux un culte conforme à nos traditions séculaires, et vous, serviteurs des dieux, gardez-vous d’endommager ou de piller les maisons de gens qui se fourvoient par ignorance plus que par conviction.

Pour persuader les hommes et les instruire, il faut recourir à la raison, et non aux coups, aux outrages, aux supplices corporels. Je ne puis trop le répéter : que ceux qui ont du zèle pour la vraie religion ne molestent ni n’attaquent ni n’insultent les foules des Galiléens. Il faut avoir plus de pitié que de haine pour ceux qui ont le malheur d’errer en si grave matière. Si la religion est en vérité le plus grand des biens, par contre l’impiété est le plus grand des maux. Il arrive à ceux qui se détournent des dieux pour s’adresser à des morts et à leurs reliques de subir ce châtiment. Lorsque des gens sont atteints d’un mal, nous partageons leur peine, mais nous partageons leur joie quand les dieux les délivrent et les guérissent.

Donné le jour des calendes d’août, à Antioche.


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