Extrait de Pierre Gripari, Critique et autocritique, 1981
Il ne faut pas se leurrer : pour quiconque a la fibre historique, le racisme n’est pas une exception, ni un scandale, ni une monstruosité : il est la nature même, la plus vieille religion du monde. La « religion naturelle » n’est pas, comme le croyait Rousseau, l’adoration d’un dieu unique et universel, commun à tous les hommes. C’est au contraire, pour chaque ethnie, le culte des ancêtres, des dieux de la tribu, du héros éponyme, du patriarche mythique. C’est qu’en effet, l’époque du nomadisme primitif, la seule réalité, c’est la famille, c’est la race. En dehors de la communauté biologique, l’individu cesse d’être protégé, et n’a plus de devoirs. Vis-à-vis de l’allogène, il n’est plus tenu à rien. Il peut faire alliance avec lui, ou le tromper, ou le trahir. En cas de guerre, il peut faire ce qu’il veut des ennemis vaincus : les génocider, les manger, les sacrifier, les torturer pour le plaisir, à la manière peau-rouge, indochinoise…
Plus tard seulement, quand les peuples commencent à se fixer au sol, les divinités, elles aussi, s’enracinent, deviennent géographiques, propriétaires d’un site. Parallèlement, au lieu de sacrifier les prisonniers, on les fait travailler comme des bêtes de somme. C’est le début de l’esclavage, considérable adoucissement des mœurs.
Il se trouve que les Juifs, après avoir amorcé cette évolution, sont tombés victimes d’une sorte de blocage, d’une « fixation », au sens freudien du mot, qui les a fait régresser au stade primitif. Leur littérature religieuse en témoigne, et porte à cet égard une lourde responsabilité : elle est le premier manifeste écrit d’un racisme qui n’est déjà plus le racisme naïf, spontané, naturel, de nos pères les Pithécanthropes, mais un racisme intellectualisé, déjà moderne, transformé en idéologie.
Ainsi la loi juive (Deutéronome, chapitre 20) frappe d’interdit les populations palestiniennes, comme impures. Elles doivent être exterminées, sans distinction d’âge ni de sexe, leurs villes rasées, leur bétail détruit. Il est interdit aux Hébreux, du moins dans les limites de la « terre promise », de faire des prisonniers, de s’approprier du butin, d’emmener des esclaves. Et ce génocide rituel n’est pas présenté comme un effet de la dureté des temps ou de la barbarie des mœurs : c’est Dieu lui-même qui l’ordonne, et qui en revendique hautement la responsabilité ! Tout manquement est sanctionné par un retrait de la grâce divine. C’est ainsi que Saül perdra son trône, pour avoir laissé vivre le roi d’Amalek, et les meilleures têtes de son bétail (I Samuel, 15).
Le plus drôle de l’histoire, c’est que les récits d’exterminations qui se répètent, jusqu’à l’écœurement, dans le Deutéronome (chapitres 2 et 3) et dans le livre de Josué (chapitres 6, 8, 10 et 11) sont historiquement faux. D’après les archéologues les plus qualifiés, il semble que les chroniqueurs juifs « idéalisent », qu’ils se vantent mensongèrement de génocides qui n’ont pas été commis. A l’époque de David, il n’y avait plus de « race juive », en admettant que cette bête-là ait jamais existé… Bien plus : sous le règne de Salomon et de ses successeurs, les divinités chananéennes étaient adorées, concurremment avec le Dieu de Moïse, et ce jusque dans le temple de Jérusalem ! Enfin l’hébreu lui-même, la langue hébraïque, n’est pas autre chose qu’un dialecte chananéen parmi d’autres. En politiques conscients, les rois de Juda et d’Israël ont essayé de gouverner en maintenant une sorte d’équilibre entre les deux communautés religieuses. Malheureusement ils avaient contre eux la racaille des prophètes, fanatiques démagogues et traîtres par conviction, qui causèrent en fin de compte la ruine politique des deux royaumes et l’asservissement de leurs peuples.
C’est ainsi que, malgré les promesses de Moïse, le peuple issu de Jacob ne s’est pas multiplié comme les sables de la mer, et n’a pas « possédé la porte de ses ennemis ». C’est ici que commence la régression dont nous parlions tout à l’heure, et c’est à partir d’ici que nous allons pouvoir tenter de l’expliquer, sinon de la justifier — puisque le racisme, on le sait bien, est injustifiable…
Sous l’occupation babylonienne, les dix tribus du nord, qui constituent le royaume d’Israël, perdent bientôt toute personnalité ethnique et leur destin se confond, dès lors, avec celui du peuple de la région. Mais les Juifs, c’est-à-dire les sujets du royaume de Juda, maintiennent leurs traditions jusque dans l’exil. Les cadres politiques n’existant plus, il ne leur reste qu’à se définir par le critère biologique, familial et racial.
Babylone une fois prise par les Perses, les Juifs obtiennent obtiennent de Cyrus l’autorisation de rentrer à Jérusalem, d’en relever les murs et de reconstruire le Temple (livres d’Esdras et de Néhémie). C’est alors que le sacrificateur Esdras (ou Ezra) s’aperçoit avec horreur que certains juifs ont été assez criminels pour épouser des palestiniennes, mélangeant ainsi le peuple saint avec « les étrangers qui habitent ce pays ». Au terme d’un prodigieux numéro de cabotinage prophétique, il ordonne à ces égarés de chasser leurs épouses de race impure, avec tous les enfants qu’ils ont pu avoir d’elles. Après quoi il n’hésite pas à falsifier les Écritures, fait récrire tous les textes, un peu à la manière dont les communistes récrivent l’histoire de leur Parti tous les dix ans ou presque, chaque fois que la ligne a changé, et fonde enfin le judaïsme moderne, avec son obsession de la pureté, sa phobie du mélange et du métissage, et son apologie, ou plutôt non : sa glorification du génocide systématique de toutes les populations qui ont le mauvais goût d’habiter l’espace vital de la race élue… Hitler fut bien ingrat de ne pas citer la Bible au premier rang de ses sources !
Cela se passait il y a deux mille cinq cents ans. Depuis, nombre de juifs se sont assimilés aux peuples qu’ils côtoyaient, et à chaque génération il s’en assimile encore. Nous sommes tous des juifs allemands, c’est vrai, comme nous sommes aussi des celtes allemands, des romains allemands, des turcs allemands, des kabyles allemands, des germains allemands… Le malheur, c’est que le rabbinat, au lieu de mettre ce temps à profit pour évoluer normalement vers une conception religieuse moins barbare, maintient farouchement le système de discrimination qu’il a hérité du calamiteux sacrificateur Ezra.
Vers la fin de l’antiquité, les Grecs commencent à se convertir au judaïsme. C’est le début du christianisme, qui n’est encore qu’une secte juive parmi d’autres, mais plus ouverte que les autres. Est-ce la fin du cercle vicieux entre racismes juif et antisémite ? Hélas non ! Dès le premier siècle de la nouvelle ère, l’Église de Jérusalem, craignant sans doute d’être noyée par les nouveaux convertis, refuse de se mélanger à eux. D’où la querelle entre Saint-Pierre et Saint-Paul, dont nous avons l’écho dans l’Épître aux Galates. C’est la scission, c’est la rupture. Le monde romain sera judaïsé, puisque christianisé, mais il sera aussi antisémite.
Au XVIIe siècle, Spinoza tente, à son tour, de sortir du ghetto. Sa philosophie est un panthéisme à la fois intellectuel et sentimental, d’un charme indéniable, et son intention avouée est de donner une interprétation universaliste de la doctrine judéo-chrétienne. Il est immédiatement excommunié par le rabbinat, décrété impur, intouchable, et frappé d’interdit comme un vulgaire chananéen !
Au XVIIIe siècle, en Pologne, en Russie et en Lithuanie, apparaît la secte des Hassidim, partisans d’une mystique singulièrement touchante : il s’agit, pour chaque individu, de réaliser immédiatement, pour lui-même, en lui-même, la venue du Messie, en esprit et en vérité. Là encore, opposition rageuse de la Synagogue, et disparition de la secte. Notons cependant que l’esprit hassidique se fait encore jour dans certaines œuvres littéraires, comme Le Dibouk, l’admirable pièce yiddisch de Anski.
Enfin, dernière tentative d’universalisation, le communisme russe. Mais, une fois de plus, après avoir lancé le mouvement, les juifs refusent d’en accepter les conséquences, et retournent à l’esprit du ghetto. Ayant le choix entre l’assimilation et la discrimination, ils optent, à quelques exceptions près, pour cette dernière, de sorte que l’U.R.S.S. est aujourd’hui antisémite. En outre, l’expérience marxiste ayant donné ce qu’on sait, les anticommunistes ne le sont pas moins !
Il n’est, bien sûr, pas question d’approuver Hitler. Même en laissant de côté le problème, encore controversé, de savoir s’il y a eu ou non intention de génocide de la part de certains dirigeants nazis, ces derniers faisaient, de toute manière, beaucoup trop d’honneur à la « race juive » en croyant seulement à son existence. D’autre part, même si la dite race existait, il est aussi absurde qu’odieux de persécuter les gens pour une ascendance familiale à laquelle ils ne peuvent rien. Cependant, si l’on veut être juste, il faut remarquer deux choses :
1° L’antisémitisme n’est pas un « crime gratuit », résultat de la névrose d’un seul homme, ni même d’un seul peuple. En fait, la Bible en fait foi, il est aussi vieux que la loi juive elle-même : c’est un contre-racisme, un réflexe de colonisé. TOUT LE MONDE EST COUPABLE, à commencer par ceux qui, bigoterie ou inconscience, élèvent leurs enfants dans les idées de la Thora.
2° La doctrine léniniste de la lutte des classes est aussi criminelle, dans son contenu et dans ses conséquences, que la doctrine judéo-nazie de la lutte des races. Il y a, certes, des antagonismes, aussi bien raciaux que sociaux. Mais les résoudre par la suppression physique des bourgeois, des koulaks ou des juifs n’est qu’une stupidité. Les génocides de classes pratiqués par la racaille léniniste n’ont abouti qu’à remplacer les patrons par le Parti-patron, ce qui n’a rien arrangé pour personne. Quant à la culture yiddisch, elle est, qu’on le veuille ou non, une part inaliénable de la culture européenne. Et nous vivons sur la Bible, sur Kafka, aussi bien que sur Homère et Tolstoï.
Le problème n’est donc pas d’avoir raison ou tort, et encore moins d’avoir le dernier mot. Le problème, c’est de dépasser l’esprit de secte. Depuis bientôt vingt-cinq siècles, judaïsme et antisémitisme se conditionnent mutuellement. Je rêve d’un Vatican II de la Synagogue… Elle n’en prend pas le chemin, du moins en apparence, mais il se pourrait bien qu’elle en fût arrivée au même point que l’église romaine à l’époque de Pie XII, lorsque les catholiques s’accrochaient d’une façon névrotique à leurs dogmes les moins soutenables… Il y a de ces raidissements qui présagent la rupture.
Le procès de Nuremberg, qui fut une comédie grotesque, a eu du moins le mérite de condamner, non seulement le nazisme historique, mais, plus généralement, le racisme idéologique, et donc aussi le judaïsme. Cette condamnation a été répercutée dans plusieurs pays, dont la France, sous forme de lois antiracistes, et donc antijuives. Ces lois, on ne les applique pas, car cela voudrait dire fermer les synagogues, interdire l’enseignement rabbinique et dissoudre un certain nombre d’associations fondées sur une discrimination, positive ou négative, mais toujours dangereuse, entre juifs et non-juifs. On s’abstient, et on a raison : les grandes choses se font, non pas violemment, mais progressivement, et les révolutionnaires n’ont jamais été que les avorteurs de l’Histoire… Mais enfin ces lois sont là, et c’est fort bien. D’ici la fin du siècle, il est permis d’espérer que la bigoterie juive et la névrose antisémite, ces deux sœurs siamoises, seront mortes l’une et l’autre, en même temps, ou à peu près, que le christianisme.
Le véritable danger, c’est Israël.
Non que les Israéliens soient plus coupables que les colons français, anglais, arabes, turcs ou mongols… Mais la fondation de l’État juif, elle, était un crime et une folie. Et l’O.N.U. de l’époque (U.R.S.S. comprise), en laissant se constituer ce ghetto des nations, a fait preuve de la même inconscience que Jéhovah lui-même, lorsqu’il fit don à son peuple d’une terre déjà occupée.
Après la condamnation du racisme, on fonde un État qui ne peut être que raciste, puisqu’État juif ayant sous sa juridiction une population qui n’est juive qu’en partie. Et, au moment où l’on s’apprête à imposer à l’Europe vaincue l’abandon de ses colonies, on crée un nouveau foyer de colonialisme en laissant s’implanter en Palestine une population européenne, avec l’agrément de tout le monde, sauf justement des principaux intéressés : les Palestiniens ! Ceux-ci, comme il fallait s’y attendre, se révoltent, prennent le maquis… et ici intervient un troisième paradoxe : après avoir chanté les louanges de la Résistance (alors que, jusque-là, les francs-tireurs étaient considérés avec raison comme des criminels de guerre), après avoir flétri les militaires allemands qui opposaient, très normalement, le contre-terrorisme au terrorisme, les colons juifs de Palestine se voient contraints d’utiliser, envers « les étrangers qui habitent ce pays », les méthodes mêmes des SS, de torturer des résistants et de pratiquer la répression de masse contre les villages rebelles. (…)
Pour bien moins que cela, notre intelligentsia de gauche n’a pas hésité à tirer dans le dos de nos frères, les Européens d’Algérie. Qu’espérait-elle donc ? Que les Arabes raisonneraient d’une façon à Alger et d’une autre façon à Jérusalem ? Les Arabes ne sont pas si bêtes !
Quoi qu’il en soit, le résultat est là : les juifs ont soutenu le stalinisme, et le monde stalinien est contre eux ; ils ont poussé à la décolonisation, et le tiers-monde est contre eux. Seuls les dirigeants de l’Angleterre et de l’Amérique acceptent encore de leur servir de porte-glaive — je dis bien les dirigeants, car pour les peuples c’est moins sûr…
On me traite d’obsédé parce que je reviens sur ce problème… Mais l’obsession n’est pas seulement en moi, c’est celle de notre époque. Tout le monde sait que, s’il y a une troisième guerre mondiale, elle sera, comme la deuxième, avant tout une guerre juive… Alors, réfléchissons !
Pendant la nuit du 10 au 11 novembre 1975 a été votée à l’O.N.U., par 72 voix contre 35 et 32 abstentions, une résolution comme quoi le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale. N’est-il pas merveilleux de voir une Assemblée internationale se réunir, polémiquer et palabrer pour arriver, en fin de compte, à voter l’évidence ? Oui, le sionisme est un racisme, et un racisme encore très modéré, si on le compare au judaïsme orthodoxe ! À cela ni les mensonges pseudo-historiques, ni les protestations indignées ne peuvent rien. Si nous voulons que tout le monde ait enfin « le droit de vivre », commençons donc par accepter d’y voir clair.


