Extrait de Pierre Gripari, La vie, la mort et la résurrection de Socrate-Marie Gripotard, 1968
Le docteur prend, allume une nouvelle cigarette.
– Te souviens-tu des androgynes de Platon?
– Les androgynes du Banquet ? demande le jeune homme.
– Ceux-là mêmes. Platon raconte, dans le Banquet, que l’homme primitif avait deux têtes, quatre bras, quatre jambes, deux sexes, et qu’il se déplaçait en faisant la roue. Or, à l’époque de la grande guerre entre les Dieux et les Géants, ces hommes primitifs prirent le parti des Géants. Pour les punir, et pour les affaiblir, les Dieux, une fois vainqueurs, les coupèrent en deux. De sorte que chacun de nous, d’après Platon, n’est qu’une moitié d’homme, éternellement en quête de son autre moitié. Et l’amour n’est rien d’autre que la tendance à reconstituer l’homme complet, l’homme double originel…
– Je me souviens de tout cela.
– Je m’en doutais. Mais as-tu remarqué que cette histoire se retrouve dans la Bible ?
– Ah, ça non, par exemple !
– Cela vient, dit le docteur, de ce que le récit de la Création, dans la Genèse, est très mal composé. De plus, tu n’en as lu qu’une traduction chrétienne…
– Je vous écoute, dit le jeune homme.
Le docteur prend et ouvre le petit livre noir.
– Il est parlé, pour la première fois, de la création de l’homme, au premier chapitre de la Genèse, verset 27. Je lis :
« Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il le créa homme et femme. » Ces derniers mots peuvent s’interpréter de deux manières : ou bien Dieu a créé en même temps le premier homme et la première femme, – mais nous verrons plus tard que ce n’est pas le cas, – ou bien, et c’est ma théorie, il a créé un être bisexué comme lui, l’androgyne de Platon, capable de se féconder lui-même. Cela se passe au sixième jour de la création. Le septième jour, celle-ci est terminée, Dieu se repose.
Mais au chapitre II, l’histoire de la fabrication l’homme est reprise en détail. Il nous est dit alors qu’Adam, l’androgyne primitif, a été formé de la poussière de la terre, animé par un souffle de vie, et ensuite installé dans le jardin d’Eden… Que se passe-t-il ensuite ? Je cite le verset dix-huit :
« L’Eternel dit : il n’est pas bon que l’homme soit seul… » Je traduirais plutôt : il n’est pas bon que l’homme soit un ! « … je lui ferai une aide semblable à lui ». En vérité, je soupçonne fort que Dieu commence, dès ce moment, à craindre l’homme et à le jalouser, ce qu’il ne cessera de faire tout au long du Livre. Peut-être l’homme a-t-il déjà pris parti pour les anges révoltés, les géants de Platon ? L’auteur du Pentateuque reste muet là-dessus… Toujours est-il que, contrairement à ce qu’il annonce, Dieu ne va pas créer un second androgyne semblable au premier pour lui servir d’aide. Bien au contraire ! Il va couper en deux l’androgyne primitif. Je cite le texte, en le corrigeant un peu, à partir du verset 21:
« Alors l’Eternel fit tomber un profond sommeil sur l’homme, qui s’endormit ; il prit un de ses côtés (et non, comme disent les chrétiens, une de ses côtes, ce qui n’a aucun sens), il prit un de ses côtés et referma la chair à sa place (…). L’Eternel forma une femme du côté de l’homme qu’il avait pris. »
En d’autres termes, Dieu sépare le côté femelle de l’Adam primitif et il en fait Eve, la femme, le nom d’Adam restant au côté mâle. Je pense que c’est là une punition ou une vengeance, et que dès lors la véritable chute de l’homme est consommée…
– Mais enfin, dit le jeune homme, rien de tout cela n’est vrai… Ce n’est que de la légende…
– Le docteur se met à rire doucement :
– Je reconnais bien là ton esprit positif. Tout cela, bien entendu, n’est que de la légende… Eh bien, maintenant, si tu le veux, parlons biologie. Tu sais que dans l’espèce humaine, une cellule féminine se caractérise par la présence de deux chromosomes du type X, alors que la cellule mâle se caractérise, de son côté, par la présence d’un chromosome X et d’un chromosome du type Y. Autrement dit, une paire de chromosomes de la cellule mâle n’est pas une véritable paire, mais un couple dissymétrique. La femme, génétiquement parlant, est pure, alors que l’homme porte en lui le signe de la contradiction. La femme est une, l’homme n’est pas un. La femme est entièrement femme, tandis que l’homme est homme dans la mesure où il est à moitié femme et à moitié autre chose. Cela, bien entendu, les auteurs de la Bible ne pouvaient pas le savoir. Pourtant ils s’en doutaient, à en juger par leur misogynie. Car la haine du Juif pour la femme n’est pas, comme celle du musulman, fondée sur le mépris, mais sur la peur. La femme biblique, c’est la femme-piège. Rappelle-toi Judith, Esther…
– Rahab, et Ruth, et Jézabel, murmure le jeune homme.
– Et ainsi de suite, conclut le docteur. Maintenant, pour en revenir à nos cellules, que se passe-t-il au moment de la fécondation ? Nous avons un ovule, c’est-à-dire une demi-cellule féminine, qui ne contient par conséquent qu’un seul chromosome X. Cet ovule sera fécondé par un spermatozoïde, c’est-à-dire par une demi-cellule masculine, laquelle peut contenir, soit un chromosome X, soit un chromosome Y, mais seulement un des deux. Tu me comprends?
– Parfaitement, dit le jeune homme. Si notre ovule est fécondé par un spermatozoïde en X, l’enfant sera une fille, et s’il l’est par un spermatozoïde en Y, l’enfant sera un garçon…
– Exactement. Toute femme a donc dans ses cellules deux chromosomes X, dont l’un est paternel et l’autre maternel.
– Et tout homme, poursuit le garçon, possède un chromosome Y, qui ne peut être que paternel, et un chromosome X qui, lui, ne peut venir que de sa mère.
– En principe, dit le docteur. Et c’est tout justement la présence de ce chromosome d’origine maternelle dans la cellule mâle qui constitue, d’après moi, le support génétique de la Chute, le véhicule de la colère de Dieu – l’agent de transmission du péché originel, pour parler comme les chrétiens… Le jeune homme fronce les sourcils :
– En somme, d’après vous, l’humanité sera rachetée le jour où les hommes auront deux chromosomes Y ?
– Le jour, dit le docteur, où un seul homme aura deux chromosomes Y, le fil de la malédiction sera rompu, et tous ses descendants seront, comme tu le dis, rachetés !
– Mais dites-moi, docteur : ce serait une catastrophe! Si tous ses spermatozoïdes sont en Y, votre homme régénéré n’aura que des garçons, et son espèce sera éteinte à la deuxième génération !
– C’est ce que j’ai cru longtemps, répond le docteur. Mais maintenant je sais qu’il n’en est pas ainsi.
Arthur Sapaudia 
Bof, j’ai bien peur que ça ne soit que de la masturbation métaphysique.La plupart des mammifères fonctionnent avec une paire de chromosomes XX / XY donc la fameuse « Chute » ne concerne en rien les humains spécifiquement.Quel péché les chiens et les chats ont fait pour mériter la colère de Dieu ?
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