Julius Evola, Métaphysique du sexe (1958), extrait tiré de Différences et complémentarité des sexes.
On n’existe qu’en tant qu’homme ou qu’en tant que femme. Ce point de vue doit être réaffirmé face à tous ceux qui, aujourd’hui, estiment que le fait d’être homme ou femme est quelque chose d’accidentel et de secondaire par rapport à l’appartenance générique à l’espèce humaine, et que le sexe est une différence concernant exclusivement la partie physique et biologique de la nature humaine, au point qu’il n’aurait un sens et ne comporterait des implications que pour les aspects de la vie humaine qui dépendent de cette partie naturaliste.
Un tel point de vue est abstrait et inorganique ; en réalité, il ne peut valoir que pour une humanité déchue, par suite d’une régression et d’une dégénérescence. Ceux qui l’adoptent prouvent par là qu’ils ne savent voir que les aspects terminaux, les plus grossiers et les plus tangibles, de la sexualité.
La vérité, c’est que le sexe existe, non seulement avant et au-delà du corps, mais dans l’âme, et, dans une certaine mesure, dans l’esprit. On est homme ou femme intérieurement, avant de l’être extérieurement : la qualité masculine ou féminine primordiale compénètre et imprègne tout l’être, visiblement et invisiblement, de la façon dont on a parlé plus haut, comme une couleur compénètre un liquide. Et s’il existe, on l’a vu, des degrés intermédiaires de sexualisation, cela signifie simplement que cette qualité-base manifeste une intensité plus ou moins forte selon les individus, non que le conditionnement sexuel disparaisse. (…)
La civilisation moderne, empiriste, intellectualiste et socialisée, pour avoir accordé de plus en plus d’importance à ce qui est sans relation avec le côté essentiel des êtres humains, est inorganique et potentiellement standardisée ; ses valeurs dérivent, pour une part, d’une régression des types, et, pour une autre part, alimentent et renforcent cette régression. C’est ainsi que la femme moderne a pu s’introduire rapidement dans tous les domaines, se voulant à égalité avec l’homme : précisément parce que les dons, les qualités, les comportements, les activités les plus caractéristiques et les plus répandus dans la civilisation moderne n’ont plus qu’un rapport très ténu avec le plan profond, où vaut la loi du sexe, en des termes ontologiques plus encore que physiques, biologiques ou même psychologiques.
L’erreur qui se tient à la racine de la compétition féministe et qui en a rendu possible le succès, c’est précisément la surestimation, propre à la civilisation moderne, de l’intelligence logique et pratique, simple accessoire de la vie et de l’esprit, qui sont, l’une comme l’autre, différenciés, tandis que l’intelligence est informe et « neutre », susceptible de se développer dans une mesure presque égale aussi bien chez la femme que chez l’homme.
La vexata quaestio de l’infériorité, égalité ou supériorité de la femme par rapport à l’homme ne sera traitée ici qu’en passant. Cette question est en effet privée de sens, car elle suppose une commensurabilité. En revanche, si l’on met de côté tout ce qui est construit, susceptible d’être acquis, extérieur, et si l’on exclut les rares cas signalés où l’on ne peut plus parler de sexe parce que la condition humaine, à un moment donné, a été dépassée, on peut dire qu’il existe entre homme et femme, par référence au type, à leur « idée platonicienne », une diversité qui exclut toute commune mesure ; même des facultés ou dons apparemment communs aux deux sexes et « neutres », ont une fonction et une empreinte différentes selon qu’ils sont présents chez l’homme ou chez la femme.
On ne peut pas plus se demander si la « femme » est supérieure ou inférieure à l’ « homme » que se demander si l’eau est supérieure ou inférieure au feu. Pour chacun des sexes, le critère de mesure ne peut donc pas être fourni par le sexe opposé, mais seulement par l’ « idée » du sexe auquel on appartient. En d’autres termes, c’est établir la supériorité ou l’infériorité d’une femme donnée en fonction de sa plus ou moins grande proximité de la typicité féminine, de la femme pure ou absolue ; et la même chose vaut pour l’homme.
Les « revendications » de la femme moderne dérivent donc d’ambitions erronées, ainsi que d’un complexe d’infériorité — de l’idée fausse qu’une femme en tant que telle, en tant qu’elle est « seulement femme », est inférieure à l’homme. On a pu dire avec raison que le féminisme ne s’est pas réellement battu pour les « droits de la femme », mais bien, sans s’en rendre compte, pour le droit de la femme de devenir égale à l’homme : chose qui, quand bien même serait-elle possible en dehors du domaine extérieur pratique et intellectuel, reviendrait au droit, pour la femme, de se dénaturer, de déchoir. Le seul critère qualitatif, c’est, répétons-le, celui du degré de plus ou moins parfaite réalisation de sa propre nature. Il ne fait aucun doute qu’une femme parfaitement féminine est supérieure à un homme imparfaitement masculin, de même qu’un paysan fidèle à sa terre qui assume parfaitement sa fonction est supérieur à un roi incapable de remplir la sienne.
Dans l’ordre d’idées dont nous traitons, il faut donc se convaincre que la masculinité et la féminité sont avant tout des faits d’ordre interne. Et ce au point que le sexe intérieur peut ne pas correspondre au sexe physique. C’est une chose bien connue qu’on peut être homme par le corps sans l’être pour autant par l’âme (anima mulieris in corpore inclusa virili) et vice versa, la même chose valant aussi, naturellement, pour la femme. Ce sont là des cas d’asymétrie dus à divers facteurs, analogues aux cas qu’on rencontre dans la sphère raciale (des individus possédant les caractères somatiques d’une race, et les caractères psychiques et spirituels d’une autre race). Mais cela ne porte pas préjudice à la qualité-base du fluide d’un être, selon qu’il est physiquement homme ou femme, ni à l’unité du processus de sexualisation. On peut expliquer le phénomène signalé par le fait que, dans certains cas, ce processus s’est fortement concentré sur un domaine donné, créant précisément des asymétries parce que le reste n’en a pas été informé dans une égale mesure.
Sur le plan typologique, c’est cependant le fait interne, le sexe intérieur, qui reste toujours décisif : une sexualisation perceptible sur le seul plan physique est d’une certaine façon, si développée soit-elle, une sexualisation tronquée et vide. Celui qui n’est pas homme quant à l’esprit et l’âme, n’est pas vraiment un homme — et l’on peut en dire autant de la femme. Tout cela, il est bon de le souligner, parce qu’il faut tenir compte de la loi de l’attraction sexuelle. Les « quantités » de masculinité et de féminité qui se complètent tour à tour, et dont il est question dans cette loi, doivent être entendues au sens le plus vaste, donc dans toute leur complexité éventuelle.
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