Gustave Flaubert – Correspondance

Nouvelle sortie !


Quelques extraits :

Tu t’étonnes d’être en butte à tant de calomnies, d’attaques, d’indifférence, de mauvais vouloir. Plus tu feras bien, plus tu en auras. C’est là la récompense du bon et du beau. On peut calculer la valeur d’un homme d’après le nombre de ses ennemis et l’importance d’une œuvre au mal qu’on en dit. Les critiques sont comme les puces, qui vont toujours sauter sur le linge blanc et adorent les dentelles. 

À Louise Colet, Croisset, 15 juin 1853

(…) Non ! mon bon ! je n’admets pas que les femmes se connaissent en sentiment. Elles ne le perçoivent jamais que d’une manière personnelle et relative. Ce sont les plus durs et les plus cruels des êtres. « La femme est la désolation du juste. » Cela est un mot de Proudhon. J’admire peu ce monsieur, mais cet aphorisme est une pensée de génie, tout bonnement.

Il ne faut se fier en femmes (en fait de littérature), que pour les choses de délicatesse et de nervosité. Mais tout ce qui est vraiment élevé et haut leur échappe. La condescendance que nous avons pour elles est une des causes de l’abaissement moral où nous gisons aplatis. Tous, nous sommes pour nos mères, nos sœurs, nos filles, nos femmes et nos maîtresses, d’une inconcevable lâcheté. Jamais le téton n’a causé plus de bassesses ! Et l’Église (Catholique, Apostolique et Romaine) a fait preuve du plus haut sens en décrétant le dogme de l’Immaculée Conception. Il résume la vie sentimentale du XIXe siècle. Ce pauvre siècle à scrofules et à pâmoisons, qui a en horreur les choses fortes, les solides nourritures et qui se complaît sur les genoux féminins, comme un enfant malade.

« Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » est un mot qui semble plus beau que tous les mots vantés dans les Histoires. C’est le cri de la Pensée pure, la protestation du cerveau contre la matrice. Et il a cela pour lui qu’il a toujours révolté les idiots.

Le culte de la mère sera une des choses qui fera pouffer de rire les générations futures. Ainsi que notre respect pour l’amour. Cela ira dans le même sac aux ordures que la sensibilité et la nature d’il y a cent ans.

Un seul poète, selon moi, a compris ces charmants animaux, à savoir le maître des maîtres, l’omniscient Shakespeare. Les femmes sont pires ou meilleures que les hommes. Il en a fait des êtres extra-exaltés, mais jamais raisonnables. C’est pour cela que ses figures de femme sont à la fois si idéales et si vraies.

En résumé, ne t’en rapporte jamais à ce qu’elles diront d’un livre. Le tempérament est tout pour elles, l’occasion, la place, l’auteur. Mais savoir si une chose (exquise ou même sublime) détonne, dans un ensemble, non ! mille fois, non !

À Ernest Feydeau, Croisset, 11 janvier 1859

 Oui mon vieux, tu as raison ; nous payons le long mensonge où nous avons vécu, car tout était faux : fausse armée, fausse politique, fausse littérature, faux crédit et mêmes fausses courtisanes. Dire la vérité c’était être immoral. 

À Maxime Du Camp, Croisset, 29 septembre 1870

Je suis convaincu que nous entrons dans un monde hideux où les gens comme nous n’auront plus leur raison d’être. On sera utilitaire et militaire, économe, petit, pauvre, abject. La vie est en soi quelque chose de si triste, qu’elle n’est pas supportable sans de grands allègements. Que sera-ce donc quand elle va être froide et dénudée ! Le Paris que nous avons aimé n’existera plus.

Mon rêve est de m’en aller vivre ailleurs qu’en France, dans un pays où l’on ne soit pas obligé d’être citoyen, d’entendre le tambour, de voter, de faire partie d’une commission ou d’un jury. Pouah ! Pouah !

À Claudius Popelin, Croisset, 28 octobre 1870

Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l’anti-sociabilité.

À George Sand, Croisset, 29 avril 1871

Je me résume, mon cher Guy : prenez garde à la tristesse. C’est un vice. On prend plaisir à être chagrin et, quand le chagrin est passé, comme on y a usé des forces précieuses, on en reste abruti. Alors on a des regrets, mais il n’est plus temps. Croyez-en l’expérience d’un scheik à qui aucune extravagance n’est étrangère.

À Guy de Maupassant, Croisset, 15 août 1878

Vous goûtez trop, comme dirait Montaigne, cette délicatesse qui est au giron de la mélancolie.

Vous vous étonnez du fanatisme et de l’imbécillité qui vous entourent. Que l’on en soit blessé, je le comprends ; mais surpris, non ! Il y a un fond de bêtise dans l’humanité qui est aussi éternel que l’humanité elle-même. L’instruction du peuple et la moralité des classes pauvres sont, je crois, des choses de l’avenir. Mais quant à l’intelligence des masses, voilà ce que je nie, quoi qu’il puisse advenir, parce qu’elles seront toujours des masses.

Ce qu’il y a de considérable dans l’histoire, c’est un petit troupeau d’hommes (trois ou quatre cents par siècle, peut-être) et qui depuis Platon jusqu’à nos jours n’a pas varié ; ce sont ceux-là qui ont tout fait et qui sont la conscience du monde. Quant aux parties basses du corps social, vous ne les élèverez jamais. Quand le peuple ne croira plus à l’Immaculée Conception, il croira aux tables tournantes. Il faut se consoler de cela et vivre dans une tour d’ivoire. Ce n’est pas gai, je le sais ; mais, avec cette méthode, on n’est ni dupe ni charlatan.

À Mlle Leroyer de Chantepie, Croisset, 16 janvier 1866

Disponible ici : https://www.thebookedition.com/fr/49134_arthur-sapaudia

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