Pierre Drieu la Rochelle – Journal 1939-1945 – Morceaux choisis

à paraitre bientôt !

Très prochainement, sortira un livre de Morceaux choisis du Journal 1939-1945 de Pierre Drieu la Rochelle.

Pierre Drieu la Rochelle est un écrivain trop peu connu des jeunes générations. Auteur, entre autres, de L’Homme couvert de femmes, de Gilles, ou encore de Socialisme fasciste, Arthur Sapaudia vous propose, par ce premier opus de sa série Morceaux Choisis, une immersion dans les plus profonds tourments de l’auteur de La Comédie de Charleroi via son journal intime. Une lente et amusante tragédie, couvrant la période de l’entrée en guerre de 1939 jusqu’à son suicide en 1945.


Suivra des extraits du Récit Secret et l’intégralité de sa Dernière lettre à son frère. Puis, avec sa très aimable autorisation, une biographie succincte rédigée par Daniel Leskens et publiée originellement dans l’excellente revue Réfléchir & Agir (Hors-Série n°1).

Voici de quoi vous donner l’eau à la bouche :

23 décembre 1939

Je n’avais pas trente ans que ces jours de fête me paraissaient horribles. C’est le moment de l’année où l’homme sent le plus sa solitude.

Solitude que j’ai voulue, de toute la force de mon égoïsme et de par toute la puissance de ma fatalité ! Impossible de m’attacher à une femme, impossible de m’abandonner à elle. Je n’en trouvais aucune assez belle. Assez belle intérieurement ou extérieurement. J’ai tout sacrifié à une idée folle de la beauté. Je savais bien d’ailleurs qu’il n’y a de beauté que celle que nous donnons aux êtres, je savais bien que je pouvais mettre de la beauté dans une femme, mais je boudais, j’en voulais à la nature de ne pas me donner ce qu’il me fallait moi-même créer.

J’ai repoussé comme une illusion qui ne pourrait jamais me satisfaire jusqu’au fond du cœur cette nécessité pour l’homme de créer la femme. Je me disais avec lassitude : « Oui, j’arriverai à me faire une femme qui sera ma femme, indubitablement marquée de mon sceau. Mais que sera-ce ? Seulement une petite guenon qui répètera mes gestes, mes idées, mes sentiments. Jamais ce ne sera la source vive et spontanée qu’on rêve dans son adolescence. »
Ainsi, j’ai voulu rester seul pour que soit pleinement et âprement reconnue la solitude de l’homme qui ne peut peupler la terre que de ses invocations : dieux et femmes.

Je n’ai pas compris que l’homme donne forme à la femme, mais qu’elle lui apporte sa substance, sa vie, cette magnifique matière brute de sa spiritualité qui appelle le ciseau. Certes, il faut savoir la posséder dans sa chair, mais au-delà elle espère beaucoup, tout.

Et elle donne à l’homme des enfants. Je n’ai pas d’enfants, et c’est dans mon cerveau un vide abominable. Cela est si contraire à tout ce que je crois et sens.
Est-ce à cause de ma vérole que je n’ai pas eu d’enfants ? Peut-être, mais sûrement aussi par crainte de la pauvreté.


9 mai 1940

Comment pourrais-je aimer les Juifs ? Pas un que j’ai connu, lu ou observé qui ne m’ait blessé. Et pas un qui ait pris souci de la blessure faite, qui en ait pris conscience.

La situation des Juifs dans un pays me donne toujours l’idée de cette parabole. Une famille est réunie dans sa maison. On frappe à la porte. Entre un inconnu qui demande l’hospitalité. Son air étrange étonne, mais on le reçoit. Il reste. Après le couvert, c’est le lit qu’il réclame, puis bien d’autres choses. Après avoir apitoyé ou amusé, il agace, importune, puis encombre et effraie. On le rabroue, il se cabre et vous traite d’inhumain. Non seulement on n’ose le chasser, mais même pas le réprimander.

Peu à peu on lui cède son argent, son esprit, le gouvernement de la maison.

Aujourd’hui il nous donne des leçons sur l’esprit de famille, sur le patriotisme.

Après s’être mis au premier rang par un calcul passionné de ceux d’entre nous qui poussaient à la guerre, on les voit déjà montrer du dépit, du dégoût, de l’éloignement pour [ce] que cette entreprise folle développe de puissance catastrophique. Si ceux qui sont le plus engagés se raccrochent désespérément et font feu des quatre pieds (journalistes, politiques, intellectuels, et certains financiers de seconde zone), on sent que les autres vont bientôt songer à leurs bagages et préparer leur éternelle fuite vers des cieux meilleurs – s’ils en trouvent.


1er octobre 1941

Vichy est très pauvre et très triste. Cette vieille France de droite, tout usée et rongée par la longue soumission aux préjugés de gauche, et qui essaie de remplacer la France de gauche. Mais la remplaçante a à peu près les mêmes tares que la précédente. Les Maurrassiens arrivent trop tard à leurs fins, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Et derrière eux les catholiques, les républicains ou libéraux de droite ne sont que l’ombre portée de leurs adversaires.

Peu de fascisme en France, parce que peu de vie. Et à quoi bon inventer le fascisme en France quand ailleurs il va être dépassé – et en Allemagne même. De même le communisme. Nous n’approchons plus une idée que pour assister à son enterrement.

Comique de penser que Vichy qui doit tout aux Allemands et ne subsiste que par eux, fasse la petite bouche à leur endroit. Les Allemands n’auraient qu’à tourner le dos pour que Vichy s’effondre en un instant, maréchal par-dessus amiral.


8 novembre 1942

Par une sorte d’instinct, j’ai repris ce journal ces jours-ci : c’est que de nouveau le drame du monde s’anime ! Donc, je suis foutu.

L’Allemagne est foutue. J’espère que je vais trouver une mort conforme à mon rêve de toujours, une mort digne du révolutionnaire et du réactionnaire que je suis. C’est bon de se sentir au cœur de son destin. À vingt ans je rêvais d’entrer dans l’Intelligence Service ou dans l’armée allemande. J’ai finalement choisi l’armée allemande. Vais-je pouvoir y entrer pour y mourir ? Ou vais-je me suicider à la romaine ?

Il y a des mois que j’envisage ces deux hypothèses. Mon sort naturel aurait été d’être S.S. dans la Division « Nord » et d’y mourir. En Finlande à l’extrême Nord, là où le climat fait la caricature atroce du nordisme… mais j’ai des hémorroïdes, une sciatique, une aortite. Plutôt la mort romaine. En tous cas, j’aurais lancé mon cri, j’aurais craché sur l’ignoble civilisation, sur l’ignoble existence des grandes villes, sur le nationalisme et la démocratie (…)

Dieu que j’ai méprisé tous ces gens de la collaboration, ces ignobles pacifistes, ces Déat, ce normalien, et Doriot, ce métisse de flamand et d’italien qui tire toute sa force de je ne sais quelle conjonction européenne mais qui porte en lui le stupre de l’ouvrier parisien. (…)

Il faut dire que Hitler est un con comme Napoléon. Mais que faire quand on veut se dresser contre la médiocrité du monde. Seul Alexandre a eu de la chance et il est mort jeune, au bordel.


24 janvier 1943

II aura une réaction aux Etats-Unis, trop tard. Ah qu’ils crèvent tous les bourgeois, ils le méritent bien. Staline les égorgera tous et il égorgera ensuite les Juifs… peut-être. Les démocrates, ayant tué les fascistes, resteront seuls devant les communistes : l’idée de ce tête-à-tête me ravit le cœur. Dans ma tombe je jubilerai.


19 avril 1944

Je vais mourir tué par les communistes, j’aime mieux être tué par eux que par ces imbéciles de gaullistes. Mais je crois au communisme, je me rends compte sur le tard de l’insuffisance du fascisme. D’ailleurs, je ne considérais le fascisme que comme une étape vers le communisme. Mais impossible de devenir communiste pratiquement, mon essence bourgeoise s’y oppose. (…)

Je meurs dans la foi de la Baghavad-Gita et du Zarathoustra : c’est là qu’est ma vérité, mon credo. La loi la plus pure et la plus indéterminée, la foi infinie au sein du scepticisme et du détachement. Une sorte de stoïcisme dégagé de toute morale. La foi dans l’indicible, par-delà le Bien et le Mal, par-delà l’Etre et le Néant. La persuasion qu’action et contemplation sont une seule et même chose dans la minute éternelle, dans le Grand Midi.

Comme je suis heureux de mourir. Aucune femme, aucun homme ne peut me retenir, je les emporte tous en moi. Je ne peux pas dire que je vais me suicider, ni même que je vais mourir : tout est déjà consommé dans mon âme.


17 février 1945

La suffisance des Européens qui croient qu’il n’y a qu’eux dans le monde nourrit la suffisance des Juifs qui croient avoir donné aux Européens la totale substance de leur religion et que cette religion est la seule digne d’intérêt. Et pourtant la religion hébraïque avait assimilé de considérables éléments aryens dès la captivité ; le christianisme primitif s’est développé dans un milieu juif tout contaminé d’hellénisme et d’autres influences ; la métaphysique chrétienne est grecque ; le Moyen Age a bouleversé la tradition gréco-juive du christianisme méditerranéen.

Et, d’autre part, il y a toute l’Asie qui proteste contre cette double suffisance : l’Iran, l’Inde, le Tibet, la Chine, le Japon. L’influence juive sur l’islamisme renforce la suffisance : pourtant la philosophie arabe est plus grecque que juive, comme la philosophie juive elle-même (Philon, la Kabbale, Spinoza).


Laisser un commentaire