En réaction, c’est un nouveau format d’entretien qui fait réagir mon intervenant aux citations que je lui propose.
Réaction inconditionnellement libre !
Voici la troisième partie de notre entretien avec Camille Mordelynch. Faites place au penseur savoisien, lui qui a inspiré tant de penseurs ces derniers siècles !
L’honnête homme « croit en Dieu et n’a pas peur du canon, l’honnête femme règle sa maison, » ; rend son mari heureux, le console, élève ses enfants, c’est-à-dire en fait des hommes : « Voilà le grand accouchement, qui n’a pas été maudit comme l’autre. » (…)
À l’opposé de la Révolution, dont les mesures législatives ouvrent l’ère de l’émancipation féminine, Maistre défend donc une conception traditionnelle de la femme, établie par le christianisme dans la grandeur de sa fonction maternelle. D’où sa conclusion, si contraire aux revendications du féminisme moderne qu’elle sonne aujourd’hui comme une provocation : « La femme ne peut être supérieure que comme femme ; mais dès qu’elle veut émuler l’homme, ce n’est qu’un singe. »
Pierre Glaudes, Œuvres de Joseph de Maistre (2007)

Camille Mordelynch : L’émancipation de la femme par le travail n’a été qu’un masque pris par le système capitaliste pour conduire à son aliénation. C’est l’incessant leurre du progressisme dont la finalité réelle n’est rien d’autre que l’extension des logiques de marché par la conquête de territoires qui en étaient auparavant préservés. Tout ce qui est présenté comme une « avancée » des mœurs est un moyen pour le capitalisme de se regénérer.
Il est évident donc que la femme, croyant se libérer de l’emprise de son mari et des contraintes de la maternité, s’est aliénée à un patron. Cette libération n’était d’ailleurs pas universelle ; là encore, le déterminisme de classe n’a pas manqué d’intervenir. Alain Soral avait bien mis en évidence que ladite émancipation de la femme de la classe bourgeoise, qui travaille et qui, par son salaire, accède à un certain nombre de loisirs, n’a pu se faire que par l’exploitation de la femme prolétaire, utilisée pour la garde d’enfants et les tâches domestiques. Parlant de la libération de la femme donc, encore faudraitil savoir laquelle…
Néanmoins, si le travail capitaliste a asservi la femme, l’injonction d’assignation à résidence ne m’apparait pas pour autant souhaitable. J’ai l’impression qu’on assiste aujourd’hui, à rebours de la bêtise féministe, à une forme de « réactionnisme » à droite ou chez certains catholiques, nostalgiques d’une bien courte époque au regard de l’histoire (disons le milieu du XIXe siècle), et dans laquelle la femme – bourgeoise, les autres endossant toute sortes de labeur, comme le travail des champs – se consacrait exclusivement au foyer. Ils justifient, par ce privilège fantasmé et élitiste, la disqualification de toute participation des femmes à la vie sociale, aux activités politiques ou intellectuelles. Ce discours « viriliste » m’apparait ruineux à bien des égards : d’abord, il occulte une réalité empirique que Maurice Bardèche a documenté dans Histoire des femmes ; la femme a de toujours travaillé en dehors de la maisonnée, et a pris part, même à des époques où cela était peu encouragé (voire prohibé), aux affaires de la cité. Certaines même, captant une bonne part de virilité masculine, ont été des dirigeantes intraitables (comme Blanche de Castille, Aliénor d’Aquitaine…), quand d’autres ont produit du concept, comme Simone Weil. Si elles constituent une minorité, il faut reconnaitre l’existence de femmes d’exception capables de s’imposer sur la scène publique ; elles sont la preuve qu’il est préférable de renvoyer dos à dos la tyrannie féministe qui voudrait en faire la norme par mépris du génie masculin, et l’excès inverse qui retirerait aux femmes toute possibilité d’action en dehors du domicile.

En tant que jeune femme, militante, touchant à la philosophie, je crois pouvoir dire qu’on peut désirer la maternité sans renoncer au combat d’idées, à la stimulation intellectuelle, et à la participation active au processus révolutionnaire… Cela me permet de faire le lien avec le christianisme, qui a permis l’existence et la sanctification d’exemples de bravoure, comme Sainte Jeanne d’Arc qui conduisit des armées, ou Sainte Geneviève qui déboutât les Huns.

Loin donc de ceux qui aujourd’hui le comprennent à l’envers, il y a de quoi absoudre le christianisme de toute misogynie, et même soutenir que nulle autre religion n’a plus magnifié la féminité. Déjà, il est vrai, par le rôle de la mère. Le Verbe s’est fait chair en habitant le ventre d’une femme, indiquant que la maternité est la destination naturelle de la féminité, son accomplissement. D’ailleurs la femme, dans l’enfantement, imite à son échelle le don divin de création : en transmettant la vie, elle fait advenir à l’existence ; elle perpétue ainsi le geste créateur de Dieu, bien que lui seul ait la capacité de le réaliser à partir de rien. Ça n’en demeure pas moins un privilège incommensurable…
Mais il y a plus surprenant : le christianisme n’a pas seulement considéré la femme comme génitrice, mais comme un être à part entière d’égale dignité aux hommes, inséparable d’eux. Le Christ a porté un message d’amour universel (l’Evangile, la bonne nouvelle !), qui a fait voler en éclat les barrières de séparations. Paul l’annonce : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ. » (Galates 3:28).

Les chrétiens constituent une assemblée réunifiée en l’amour de l’Être, pulvérisant les cloisons : c’est ce dont on garde la trace dans les églises, seul lieu de culte qui ne sépare pas les deux sexes, et où hommes et femmes prient à l’unisson. C’est aussi la manière dont le Christ a procédé pendant son ministère : il ne s’est pas adressé aux hommes, puis aux femmes, mais a prêché indistinctement aux deux. Tout sa vie, il s’est entouré de femmes sur lesquelles il a posé un regard de bonté (il sauve la femme adultère !) et d’intelligence : il a fait de Marie Madeleine « l’apôtre des apôtres », s’étant même laissé essuyer les pieds par elle, dans un geste à conation érotique ; par-là, il a prouvé que la femme n’était pas « un être périphérique d’angoisse liée à la sexualité », comme le dit si bien Francis Cousin, ni inférieure ni impure, qui n’est pas à cacher mais qui est au contraire à révéler comme un être sacral, de vie et de saveur. Deo gratias !
Pour aller plus loin :

