
Arthur Sapaudia : Bonjour Mehmet. Vous êtes président de l’Association genevoise des Amis de Stéphane Blet. Pouvez-vous nous en parler ?
Mehmet Yildiz : Bonjour, avec plaisir. Il s’agit d’une initiative née de la nécessité de réaliser quelque chose. En effet, après le décès de Stéphane, nous ne savions pas quoi faire dans l’immédiat. On s’est dit qu’il fallait au moins monter une association de quartier qui nous servirait lorsque l’on veut organiser un hommage, une conférence ou faire de la diplomatie. Nous avons ainsi organisé une conférence de presse le 7 mai 2022, participé à une conférence sur Stéphane Blet avec Dieudonné et Alimuddin Usmani à Istanbul le 12 novembre dernier et récemment, pour les un an du décès de notre ami, nous avons organisé un petit hommage entre nous, au lieu du décès. Nous tenons également une chaîne YouTube qui comporte plus de 400 vidéos, un travail d’archives.
AS : Comment avez-vous connu Stéphane Blet ?
MY : Nous nous sommes connus en 2015 par le biais des réseaux sociaux. Il m’avait demandé en ami, surpris de voir qu’un « turc » d’origine kurde, naturalisé suisse, soutienne Égalité et Réconciliation, Alain Soral, Jean-Marie Le Pen. Je ne le connaissais pas, et lorsqu’il m’a adressé la parole en turc, nous sommes devenus inséparables, moi aussi, surpris du fait qu’il parle parfaitement le turc, qu’il connaisse la Turquie beaucoup mieux qu’un turc quelconque du quotidien. On s’est appelé deux semaines d’affilée en audiovisuel puis je me suis rendu à Paris pour le voir. Par la suite, nous avons eu une grande collaboration, je faisais des traductions pour lui, étais intermédiaire avec certaines instances étatiques turques, avec ses avocats en Turquie, j’étais un peu son porte-parole sur plusieurs plans en Turquie, notamment la presse turque.
AS : Comment expliquez-vous sa fin tragique ?
MY : Il est difficile pour moi de me prononcer sur cette question mais je vais essayer d’apporter un certains nombres d’éléments… Je voudrais d’abord dire que le soir de son décès, j’ai été surpris par l’ampleur de l’intervention de police et les moyens mis en place pour cette affaire. En premier lieu, j’ai compté un nombre impressionnant de policiers municipaux, cantonaux, civils, arrivée de la procureure avec son équipe, camion de pompier, ambulances etc. Je me suis arrêté au nombre de 50. Je précise que lors du suicide d’un ami proche il y a une dizaine d’années, par défenestration, sa compagne qui était présente ce soir m’a dit qu’elle a compté quelques policiers et une ambulance. Il est donc évident que pour le cas de Stéphane, la police a fait de son mieux avec un professionnalisme exemplaire. Ainsi, le ministère public du canton de Genève « confirme, sur la base de l’enquête de police et de l’autopsie » que « la thèse du suicide est privilégiée ». Il est clair que nous ne pouvons pas nous contenter du rapport de police… L’état d’agitation et de dépression dans lequel il était en arrivant à Genève aurait débuté environ 48 heures avant son arrivée. Que s’est-il passé ? Quel était l’élément déclencheur ? Je n’ai pas de réponses à ces questions malheureusement.
AS : Quelle était sa relation avec la Turquie ?
Comment, selon vous, aurait-il réagit aux récents meurtres de Kurdes à Paris ?
C’était un amoureux authentique de la Turquie. Son fils est turc à moitié. Stéphane était vraiment un amoureux de l’empire ottoman. Il a composé dès rhapsodies ottomanes en prenant exemple sur les rhapsodies hongroises de Liszt, dont il était un spécialiste hors pair. Il avait donné un concert à Istanbul au milieu des années 90. C’est à partir de là que débute son aventure avec la Turquie. Pour lui c’était plus qu’un coup de cœur. Il disait d’Istanbul qu’il avait l’impression d’y avoir vécu il y a plusieurs siècles.
Son engagement pour la Turquie allait même au-delà de l’engagement d’un quelconque patriote turc, c’était impressionnant comme il était intégré à la société turc. Il maîtrisait la langue, avait créé un concours de piano à Istanbul. C’était vraiment un ambassadeur de la culture de ce pays.
Concernant le meurtre des kurdes je ne sais pas ce qu’il aurait dit, mais je sais qu’il avait un avis très nuancé concernant les kurdes, la question kurde. Il faisait la distinction entre le PKK et les kurdes, ne faisait pas d’amalgame.
AS : Quels étaient ses rapports avec le pouvoir en place en Turquie ?
MY : Il entretenait de bons rapports avec la famille Erbakan, le ministre de l’intérieur Süleyman Soylu, divers députés, maires et politiciens. Tout le monde l’aimait et l’admirait.
AS : Est-ce que les persécutions qu’il subissait dans son pays d’origine avaient un écho en Turquie ?
MY : Oui, totalement ! Comme il avait quitté la Franc-maçonnerie en claquant la porte, en Turquie aussi ces réseaux étaient un obstacle pour lui. Les milieux artistiques étant aux mains de l’opposition, des concerts on été annulé, et il subissait un boycott, moins fort qu’en France mais bien présent… Je pense notamment à Istanbul qui est la capitale culturelle en Turquie, cette ville est tombée aux mains de l’opposition progressiste, ce qui n’a pas arrangé la situation de Stéphane. Il dénonçait dans les médias « la mafia du milieu musical », propos repris par Erdogan lors d’un discours à Ankara au Croissant Rouge.
L’actu au diapason, 71 entretiens de Manu du Réveil des Moutons avec Stéphane